Le centre de détention de Guantanamo aura été «la honte de la démocratie américaine» - depuis vendredi, ce n'est pas près d'être contredit - et l'un des enjeux politiques déterminants dans la course à la Maison-Blanche. Sa fermeture, le démocrate Barack Obama, l'homme de tous les espoirs de l'humanité, en avait fait l'une de ses priorités en cas de victoire aux élections de novembre 2008 et beaucoup d'électeurs républicains l'avaient suivi rien que pour cette promesse. Pour cette même raison qui leur a fait prendre leurs distances vis-à-vis de Bush. Ce qui apparaissait alors plus comme une formalité, un peu à la manière express dont l'ex-président Bush avait ouvert cette prison pour accueillir les islamistes dès la campagne d'Afghanistan, le nouveau chef de la Maison-Blanche se rendra vite compte que la tâche n'est pas aisée. Les organisations humanitaires grondent Il y a la prison et il y a aussi les prisonniers. Un vrai casse-tête dans les deux cas pour Barack Obama. Car s'il aura été facile pour George Bush d'ouvrir ce centre pénitentiaire en territoire cubain - où l'armée américaine dispose d'une base militaire par la force - ou de trouver la population carcérale qu'il faut, fermer cette institution et mettre les prisonniers à la porte pose problème pour la nouvelle administration américaine. Le congrès américain, où le Parti démocrate dispose pourtant d' une majorité suffisante, a réservé une fin de non-recevoir à la demande de crédits formulée le mois dernier par Barack Obama pour fermer, comme promis, cette prison et s'acquitter ainsi d'un de ses engagements les plus forts durant la campagne pour la Maison-Blanche. Or les sénateurs américains, toutes tendances confondues, on le sait et l'ex-sénateur de l'Illinois mieux que quiconque, ont toujours défié le président des Etats-Unis quelle que soit sa couleur politique, surtout lorsqu'il est question de crédits. A plus forte raison encore en cette période de crise financière - Barack Obama n'aura pas été le premier ni ne sera le dernier, c'est la loi du Congres - à se heurter à un refus de ce puissant pouvoir législatif. Du coup, les Américains et avec eux l'opinion mondiale, à sa tête les organisations humanitaires, encore sous l'euphorie de l'«après-Bush», déchantent. Tous sont sentent déroutés par la décision de Barack Obama de garder les tribunaux militaires pour juger les 240 prisonniers islamistes qu'il s'était promis de libérer. Faut-il donc conclure que faute d'avoir l'argent nécessaire pour fermer une prison, on se voit obligé de garder les prisonniers ? Ceci pour le théorème. Bush avait déjà trouvé la réciproque : la prison existe, il faut des prisonniers. Le système des commissions militaires imaginées par Bush va donc pouvoir continuer de fonctionner sur la base d'autres nomes juridiques, «plus respectueuses des droits de l'homme», fait-on savoir à Washington. On se rappelle que deux jours seulement après avoir prêté serment, en janvier, Obama assurait que Guantanamo sera fermé dans un délai maximum d'une année et les tribunaux militaires suspendus. Personne en fait ne s'est rappelé que Barack Obama avait laissé entendre aussi que cette institution pouvait être réformée. Avec deux solutions en main le nouveau président vient de choisir la moins bonne pour les ONG. Sans se déjuger, au fond, mais depuis vendredi, pour les organisations humanitaires, c'est la déception. Les groupes pro-droits de l'homme ont critiqué avec beaucoup de virulence la décision du président des Etats-Unis qui vient rappeler que sur certaines questions l'administration américaine, démocrate ou républicaine, a la peau dure, elle est franchement conservatrice. Dans un communiqué, Antony Romeo, le directeur exécutif de l'Union pour les libertés civiles aux Etats-Unis (Aclu), qualifie cette volte-face d'«illégitime, d'inconstitutionnelle, de contre-productive qui n'inspire pas confiance». Tout est dit à travers le mot «confiance» quand on sait que les organisations civiles humanitaires ont fait inconditionnellement campagne pour le candidat démocrate. Même réaction de Virgina Sloan, la présidente de Project Constitutional, qui parle de «préoccupation». La Maison-Blanche, qui demandera au Congres des crédits pour réformer cette loi que Bush avait fait adopter en 2006, se veut rassurante sur la garantie des droits des prisonniers, mais sans convaincre. Des arguments, les associations humanitaires les voient dans la bouche de G. Bush, pas dans celle d'Obama. Les ONG critiquent, pour le moment, la mesure, pas son auteur. Amnesty International considère que la justice militaire d'exception «n'a pas sa place dans la démocratie américaine et ne peut donc pas être réformée». Un délai de grâce donc pour le premier président noir des Etats-Unis qui vient de franchir avec succès ses 100 premiers jours à la Maison-Blanche ? Possible. Mais désormais l'homme le plus puissant du monde, le démocrate Obama, les ONG l'ont à l'œil. Les prisonniers algériens Un prisonnier au moins sur les 240 locataires de Guantanamo ne passera pas devant ces tribunaux. Au moment où Barack Obama annonçait sa décision de réformer cette institution d'exception, la Cour suprême rendait sa liberté, vendredi, à l'Algérien Lakhdar Boumédiene, qui a rejoint la France aussitôt, auprès de membres de sa famille, avec l'accord de Nicolas Sarkozy. Ses codétenus, ses compatriotes, 4 Algériens, eux attendent leur transfert de «préférence vers l'Espagne», selon une organisation humanitaire britannique qui les a défendus depuis leur incarcération à Guantanamo. En novembre, le juge fédéral d'un tribunal civil, Richard Leon, avait ordonné la libération des 5 Algériens. Un autre juge ordonna celle de 17 autres ressortissants de pays musulmans pour détention arbitraire et sans fondements juridiques. En fait, les Etats-Unis veulent à la fois se débarrasser de la prison de la honte et de ses occupants, après tout ce qui a été su et filmé, aussi bien dans cette base cubaine qu'à Abou Ghraib, en Irak. Un cauchemar à oublier. L'Amérique, qui n'a pas pu faire seule la guerre, veut l'aide de ses alliés pour tourner définitivement la page de Guantanamo. Madrid n'y serait pas opposé, à en juger par les multiples déclarations du ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos. La justice espagnole veut d'abord étudier les dossiers au «cas par cas» pour s'informer du degré d'implication de chaque prisonnier dans les activités de terrorisme. Un jugement purement politico-administratif en réalité. La France, après l'Allemagne, premier pays européen à accueillir au début du mois un ex-prisonnier de Guantanamo, ont ouvert la voie aux «27». La présidence tchèque avec un représentant de la commission européenne doivent se rendre, ce mois-ci, à Washington pour étudier avec la Maison-Blanche les conditions de transfert et de séjour des détenus vers le vieux continent. Washington a demandé la solidarité des «27» pour accélérer la fermeture de Guantanamo. Au plan politique, cela ne devrait pas poser problème pour des pays qui, comme l'Espagne, avaient exigé la fermeture de la prison de la honte depuis le début. Au plus, la question revêt un aspect technique. Or depuis vendredi, la technique (juridique) contrarie le politique, la promesse d'Obama et le secours des «27». Le processus risque donc d'être «trop long», estiment les organisations humanitaires internationales.