Cinquante ans après sa mort, l'étoile de John F. Kennedy a pâli aux Etats-Unis où le bilan de l'ancien président est ouvertement discuté, mais elle continue à briller au firmament européen. L'homme qui s'était rendu à Berlin, au cœur d'un continent divisé en deux camps irréductibles sur fond de guerre froide, pour lancer "Ich bin ein Berliner" (je suis un Berlinois) incarne dans les mémoires la figure du dirigeant charismatique et dynamique dont l'Europe d'alors manquait cruellement. Werner Eckert, un Allemand de 81 ans, était à Berlin ce jour où JFK avait exprimé, face au mur érigé deux ans plus tôt pour séparer les deux zones de l'ancienne capitale allemande, la détermination du "monde libre" à résister à l'emprise de l'Union soviétique sur l'est de l'Europe. "L'homme le plus puissant du monde occidental est venu spécialement à Berlin pour nous donner du courage et pour signifier à l'Est que les Américains ne nous laisseraient pas tomber", se souvient-il. L'Europe qui tomba sous le charme du séduisant descendant d'émigrés irlandais et de sa ravissante épouse, ancienne étudiante à la Sorbonne à Paris, était alors dirigée par une classe politique d'une toute autre sorte. L'Espagne et le Portugal étaient des dictatures, la Grèce portait encore les stigmates d'une guerre civile et l'Italie était dirigée par des démocrates chrétiens réunis au sein d'un parti tentaculaire gangrené par la mafia. L'Allemagne de l'ouest, elle, émergeait péniblement du cauchemar du nazisme et de la ruine économique, la France se résignait dans la douleur à la perte de son empire colonial. Quant à la Grande-Bretagne, elle restait sous l'emprise d'une aristocratie vieux-jeu. "Je me rappelle parfaitement cette atmosphère de fraîcheur que ce jeune et séduisant président a fait souffler sur le monde", se souvient l'homme politique italien Walter Veltroni, alors encore enfant. "On avait le sentiment que l'hiver de l'après-guerre allait finir". "John Kennedy est le pionnier de ce qui a suivi. Tous les autres présidents n'ont fait que calquer leurs comportement et leurs méthodologies médiatiques sur ce qu'a fait Kennedy", souligne le journaliste et écrivain français Philippe Labro, auteur de "On a tiré sur le président". "Il a ouvert la brèche à l'idée qu'il n'était pas impossible qu'on mette à la tête de l'Etat un homme plutôt jeune, par forcément expérimenté mais plein d'énergie et d'ambition". "Particulièrement dans les années qui ont suivi sa mort, si quelqu'un émergeait, par exemple de Normandie, il devenait le Kennedy normand, son nom était devenu un adjectif", souligne-t-il. Le style décontracté de Kennedy a ainsi fait des émules jusque dans les actuelles générations d'hommes politiques européens. Tony Blair, l'ancien Premier ministre travailliste britannique, et l'ancien président français de droite Nicolas Sarkozy, s'en sont ouvertement inspirés. "Nicolas Sarkozy, sur sa photo officielle à l'Elysée (en 2007), porte exactement le même costume que Kennedy, un costume à rayure de chez Brooks Brothers", relève Frédéric Lecomte-Dieu, l'un des biographes de la famille Kennedy, organisateur d'une exposition à Paris. La dynastie Agnelli, propriétaire du géant automobile Fiat, est toujours qualifiée de "Kennedy italiens", notamment parce que Gianni, le patriarche, accompagnait souvent Jackie sur la côte amalfitaine et que la rumeur lui attribue une aventure avec elle. Jackie Kennedy a été un atout important dans l'opération de charme de Kennedy en Europe, et particulièrement en France où elle avait étudié et dont elle connaissait la langue. Le président américain se présentait comme "l'homme qui accompagne Jacqueline Kennedy à Paris." La tolérance de la Vieille Europe sur les comportements privés des dirigeants a aussi aidé à préserver la réputation de Kennedy, homme à femmes invétéré. Le quotidien italien Il Giornale a consacré récemment un long article à ses frasques sexuelles. Mais plutôt que de les condamner, l'objectif du journal, propriété de la famille de Silvio Berlusconi, était de mettre en perspective celles de l'ancien Président du conseil. "Aujourd'hui, s'il était candidat aux primaires aux Etats-Unis, il serait surprenant qu'il aille loin parce que la presse le dévorerait, enquêterait sur lui, publierait tout", estime Philippe Labro, évoquant aussi les liens troubles de la famille Kennedy avec la mafia américaine.