Karim est arrivé de Londres, spécialement pour «le match». Au lendemain de la première mi-temps à Ouagadougou, il avait décidé de venir et il s'est mis en quête d'un billet. Bien sûr, il s'est adressé en premier à ses copains de quartier pour lui assurer le ticket d'entrée. Il les savait débrouillards, les «enfants de Kouba». S'ils n'étaient pas débrouillards, il ne serait pas, lui à Londres, depuis longtemps «sorti de la boue». Voilà plus de trente ans qu'il est parti. Non, il n'aime pas dire qu'il est «parti de rien», puisqu'il est parti d'un pays qui ne promettait aux jeunes comme lui que nuits blanches et misère noire. Karim est parti rejoindre d'autres copains de quartier dont il avait entendu dire qu'ils avaient créé un autre Kouba à Londres ; il n'est donc pas parti «à l'aventure» comme on dit. Reconnaissant mais un peu plus débrouillard que les autres, il est rapidement sorti du Kouba de Londres comme il est sorti de «Calvaire», le «quartier dans le quartier» du Kouba d'Alger. Par contre, Karim n'est pas sorti aussi rapidement de la boue. Parti sans diplôme ni métier, il a dû trimer dur. Non, il ne s'est pas refait, comme on dit, il s'est fait. Il a surmonté ses limites scolaires, appris la langue qui était son pire handicap et résisté aux tentations de la petite délinquance où il avait ses «entrées». De plongeur dans un pub de Soho, il est devenu aujourd'hui le chef d'un restaurant huppé où il gagne sa vie comme il ne l'a jamais imaginé, et pose avec les stars, qui l'appellent à leur table ou le rejoignent devant ses fourneaux. Karim a aujourd'hui fait un peu plus que sortir de la boue. Il a une maison confortable, une femme et des enfants. A Alger, il a sorti ses parents de l'invivable trois-pièces-cuisine à quatorze pour un «R+2» avec garage et local commercial et veille à ce que «le vent ne les touche pas». Pour Karim, le foot, ce n'est ni un sport ni une religion. Quand on est né et grandi à Kouba avant de faire sa vie à Londres, le foot est plutôt une évidence. Il a donc continué à aimer le RCK pour lui et la JSK pour son père. Il s'est aussi découvert une passion pour Liverpool même si ce n'est pas sa ville d'adoption. Mais sa grande passion, c'est l'Equipe Nationale. Ce n'est pas la première fois que Karim vient spécialement à Alger pour les Verts. Il le fait même régulièrement, à chaque fois que l'enjeu vaut le déplacement. Au point où quand il tarde un peu à rentrer au pays, sa vieille mère demande à ses autres enfants s'il n'y a pas un match de l'Algérie en vue. Karim a chargé ses copains de quartier de lui acheter un billet mais il a aussi cherché à s'en procurer à partir de Londres. Non qu'il manque de confiance mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. Il a cherché sur internet, il a contacté une connaissance qui travaille à la fédération et se tenait même prêt à mettre le prix fort. Karim est arrivé samedi soir. Tout le monde est content de le voir, il est heureux de retrouver le pays mais jusqu'à hier midi, il n'avait toujours pas de billet. Internet est une vue de l'esprit, le gars de la fédération ne répond pas au téléphone et il y a plus débrouillards que ses copains de quartier. Merzak, le plus roublard d'entre eux, a même été blessé dans l'émeute du stade Tchaker où il était en «bonne place» pour parvenir au guichet. Karim s'est dit que si Merzak n'a pas pu avoir des billets de stade, c'est que le pays a vraiment changé. Slimane Laouari