Ce matin, «la rue du quartier» était plus encombrée que d'habitude. Quelques voitures de police rendaient le passage difficile et pour faire patienter les automobilistes, pas du tout habitués à cela, les policiers ont déployé des trésors de courtoisie. Rabah, qui est né dans cette rue et ne l'a plus jamais quittée depuis cinquante et un ans a vite compris. «Sa» rue abrite le consulat du Maroc et en raison de «ce qui se passe là-bas», en raison surtout de ce qu'«ils nous ont fait », comme disent les copains de Rabah, les autorités d'ici ont décidé de renforcer la sécurité autour de la bâtisse qui renferme la représentation diplomatique en question. Oh, Rabah a bien souri aux policiers, il leur a même parlé, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Il leur a dit qu'ils pouvaient rentrer chez eux dormir tranquilles, personne ne touchera au consulat du Maroc. Les policiers ont pris ça avec la même courtoisie que celle déployée pour apaiser quelques automobilistes râleurs qui n'avaient pas l'habitude de voir cette rue encombrée. Rabah ne sait d'ailleurs pas pourquoi il a pris autant d'assurance pour dire aux agents de sécurité que rien ne pouvait arriver au consulat du Maroc. Rien de bien solide mais quelques indices tout de même, qui peuvent rassurer. D'abord, Rabah a toujours l'intime conviction que rien de bien fâcheux ne pouvait arriver dans son quartier. Ensuite, il n'y a pas de jurisprudence en matière d'attaques de consulats à Alger. Enfin, il sait les services de sécurité de son pays peu enclins à la complaisance dans ce genre de situation. On n'a pas interdit les marches à Alger pour qu'on autorise des ruées sur les consulats étrangers. Quand bien même l'emblème national a été profané à Casablanca au terme d'une attaque du consulat algérien, il sait, il le dit d'ailleurs avec une certaine fierté, que l'Algérie, en matière diplomatique, n'a jamais été tentée par la loi du talion. Rabah n'est pas un passionné de politique, ni un patriote enflammé qui pourrait partir les yeux fermés en service commandé. Quand il y a eu «l'épisode égyptien» avec le fameux match de foot qui a dégénéré, il a été de ceux qui ont su raison garder. Cette fois, s'il n'est pas parti en guerre contre nos voisins de l'ouest, il n'a pas pour autant digéré qu'on touche au drapeau national. Il est comme ça, Rabah, il a le patriotisme décontracté mais il sait être ferme sur certaines questions. Des questions, ça lui arrive même de s'en poser quelques-unes. Et d'y mettre les réponses avec la pertinence et le bon sens qui sont les siens. Il ne revendique d'ailleurs que cela, avec humilité, pour compenser ses connaissances dont il dit systématiquement qu'elles sont «primaires». Sur le problème du Sahara occidental par exemple, il s'est toujours demandé pourquoi le Maroc avait proposé à l'Algérie le partage de ces territoires si tant est que le Sahara est marocain. Il s'est aussi demandé pourquoi le Royaume n'a pas été récupérer le Sahara chez les espagnols qui en ont eu la souveraineté pendant des siècles. Il s'est enfin demandé pourquoi le Maroc a fini par le partager avec la Mauritanie qui n'a abandonné «sa part» que devant son incapacité à soutenir l'effort de guerre qui lui était imposé par le Polisario. Rabah a toujours le sourire au coin des lèvres quand il y pense. Et quand il a entendu pour la énième fois que nos voisins revendiquent aussi Tindouf et Béchar, il a carrément éclaté de rire. Quand le policier qui était devant le consulat du Maroc lui a demandé ce qui le faisait rire, il a été obligé de trouver une pirouette pour s'en sortir. Rabah était convaincu que c'était trop long à expliquer. Surtout trop compliqué à comprendre. En tout cas beaucoup plus compliqué que de renforcer la sécurité devant un consulat que personne ne va attaquer. Slimane Laouari