A six mois du Mondial de football, l'appareil sécuritaire brésilien est préoccupé par le spectre d'une nouvelle flambée de manifestations violentes et de récents signaux alarmants en provenance des favelas "pacifiées" de Rio de Janeiro. Garantir la sécurité des équipes et de millions de supporteurs brésiliens et étrangers : l'enjeu sécuritaire est aussi colossal que ce pays de 200 millions d'habitants. "Manifestez pour les causes qui vous semblent justes (...). Mais traitez bien les visiteurs", a récemment exhorté Ricardo Trade, directeur général du Comité organisateur local. Le Brésil est habitué à organiser sans anicroches des événements de masse comme le carnaval ou la visite du Pape François et ses deux millions de pèlerins sur la plage de Copacabana en juillet. Mais il demeure un des pays les plus violents au monde, avec un taux d'homicides de 27 pour 100.000 habitants Un plan stratégique lancé en août 2012 cernait les principales menaces: "supporteurs violents, crime organisé, menace terroriste". Black Bloc Mais il n'avait pas envisagé la fronde sociale historique qui a ébranlé le pays en juin, en pleine Coupe des Confédérations, avec ses scènes de guérilla urbaine. Des centaines de milliers de Brésiliens étaient descendus dans les rues pour exiger des services publics dignes, fustiger la corruption et la facture publique colossale du Mondial. Même scénario en vue pendant le Mondial? "C'est la question à un million de dollars", résume un cadre de TV Globo, dont les journalistes ont été violemment pris à partie par des manifestants radicaux. "Des manifestations, il y en aura", se résigne un responsable gouvernemental. "La question est de savoir de quelle ampleur, limitée ou massive. On verra si la réponse politique aura été suffisante". Les élus, à commencer par la présidente Dilma Rousseff, sont d'autant plus vigilants que les élections d'octobre (présidentielle, législatives, gouverneurs) viendront très vite après le Mondial. Avec tous les risques possibles d'instrumentalisation. Les pouvoirs publics tentent aussi de remédier au criant manque de formation aux tâches de maintien de l'ordre de la police militaire. Son extrême violence avait attisé la colère populaire en juin. Des CRS français sont venus à Rio partager leur savoir-faire. Les services d'intelligence de la police enquêtent enfin activement sur les Black Bloc. Ces protestataires anarchistes ont provoqué des scènes de guérilla urbaine débridées jusqu'en octobre à Rio de Janeiro et São Paulo. Ils ont depuis mis la sourdine mais promettent de revenir en force pendant le Mondial. Favelas "pacifiées"? Autre sujet d'inquiétude, le climat se dégrade dans certaines favelas de Rio, reprises progressivement depuis 2008 par la police aux mains des trafiquants de drogue. Le taux d'homicides a baissé de 40% après la "pacification". Mais les policiers déployés dans ces quartiers pauvres, parfois violents et corrompus, n'emportent pas l'adhésion des habitants. Et depuis la fin de l'été, certains clignotants sont passés à l'orange: multiplication des vols à la tire, échanges de tirs et signalement de trafiquants lourdement armés dans certaines favélas "pacifiées". Sans oublier une récente série d'attaques de baigneurs sur les plages touristiques de Rio par des groupes d'enfants encadrés par des adultes. Récemment, un chef du trafic incarcéré à Rio a confessé en détail à la police les plans du "Comando Vermelho", la principale organisation criminelle carioca, pour tenter de reprendre le contrôle des favelas. Et le Premier commando de la capitale, la grande organisation criminelle de Sao Paulo, agite la menace d'un "Mondial de la terreur". Les autorités annoncent un doublement des effectifs des forces de sécurité pendant la Coupe du monde par rapport à la Coupe des Confédérations, qui avait mobilisé 55.000 hommes. Certaines unités ont été entraînées par des agents du FBI pour répondre à des menaces extérieures. Car même si "le Brésil n'est pas un pays visé par le terrorisme", comme le rappelle Michel Misse, expert en violence de l'Université fédérale de Rio, la projection mondiale de l'événement et l'attentat du marathon de Boston incitent forcément à la vigilance.