Rencontré au Festival du patrimoine immatériel, organisé du 23 au 25 février à Tamanrasset par l'Office du parc national de l'Ahaggar (Opna), Jaào Soeiro de Carvalho, ethnomusicologue, chercheur et enseignant à la nouvelle université de Lisbonne, est intervenu autour du patrimoine musical. Pour quelles raisons les peuples perdent-ils leur patrimoine immatériel ? On perd son patrimoine immatériel devant les avancées des industries du disque, des médias et bien sûr suite aux différents évènements qui touchent la société moderne, que ce soit sur les plans démographique et sociologique ou autres. Vous avez travaillé pendant 20 ans sur la musique au Mozambique, au Maroc et dans le nord du Portugal. Où se situe pour vous l'importance de valorisation du patrimoine immatériel ? En ce qui me concerne, ce n'est vraiment pas la sauvegarde du patrimoine qui m'intéresse, cela ne veut pas dire que je ne suis pas satisfait lorsqu'on réussit à le sauvegarder. La dynamique du processus culturel, c'est ce qui m'intéresse. Mon objectif est d'étudier les transformations qui interviennent au sein de la culture. Comment cela se déroule ? De quelle manière les gens interviennent ? Je ne suis pas traditionaliste, la culture est en perpétuel changement et l'héritage musical doit être considéré comme une donnée des sociétés modernes. La musique traditionnelle ne doit pas être considérée seulement comme un patrimoine. Elle doit être estimée comme la musique d'aujourd'hui, car elle est capable de s'adapter à la création. Quelles sont pour vous les meilleures techniques de sauvegarde du patrimoine musical ? C'est un travail qui doit être effectué perpétuellement pour arracher toutes les informations intéressantes. Cette sauvegarde passe pour moi par 4 étapes : la recherche, l'animation, l'expérimentation et la diffusion. Je parle d'une véritable recherche ethnomusicologique où les chercheurs et les spécialistes seraient amenés à récolter le maximum d'informations sur le répertoire, les comportements verbaux, sociaux, corporels, les instruments, les outils de diffusion. Une recherche qui aboutira à la publication de livres, de CD, de documentaires et de tous supports existants et qui constitueraient les documents d'archives et des banques de données. A travers l'animation, il faut trouver les meilleures manières de faire rencontrer les musiciens et le public avec leur musique traditionnelle grâce à des approches et des dispositifs qu'il faut mettre en place. Avec cette étape, on pourra stimuler la socialisation musicale des jeunes à travers l'éveil d'intérêt culturel, renforcer le goût musical du public en le mettant en contact avec les musiques. L'expérimentation amènera de nouveaux codes : de jeu, d'écoute, et d'instruments. Il est indéniable que les musiques traditionnelles sont de qualité, mais les industries du disque n'en font pas cas. Il existe cependant des boîtes qui produisent et distribuent dans ce créneau. Pour diffuser cette musique, il faut penser à profiter d'espaces comme les clubs, les cafés musique, les écoles et les festivals. Ces quatre étapes sont-elles suffisantes pour cette sauvegarde ? Evidemment non. Rien ne peut aboutir si les institutions n'interviennent pas pour mettre en place des mécanismes et veiller à structurer ce secteur. Il doit exister une véritable politique en direction du patrimoine musical. Dans ce contexte, l'Etat, les privés et les organismes professionnels devraient fournir des aides aux projets de création, à la formation d'ethnomusicologues sur le plan général, régional et universel, au développement de la recherche et à la création de bourses de recherche et de voyage pour les musiciens. Soutenir également la diffusion locale et internationale et les productions audiovisuelles. Comment peut-on pousser les jeunes à être partie prenante de la sauvegarde du patrimoine musical ? Je pense que toutes les politiques mises en œuvre doivent inclure les jeunes. Leur permettre d'explorer de nouvelles voies en rapport avec leur temps et leurs préoccupations, les laisser parler leur langage. Par exemple, consentir à ce qu'ils introduisent de nouveaux instruments, c'est ce qui se passe ici à Tamanrasset avec l'introduction de la guitare électrique dans la musique traditionnelle. Ils doivent sentir ce plaisir de jouer de la musique et de produire leurs propres sons. Entretien réalisé par