On l'avait presque oublié. Eh oui, Abdelmoumène Khalifa a beau avoir été au cœur du scandale financier algérien le plus retentissant qui a mis à nu l'ampleur de la gangrène prédatrice et corruptive dans tous les rouages de la société et de l'Etat, le pays couve en son ventre tellement d'horreurs que celles, pour un temps, considérées comme les plus emblématiques du désastre peuvent rapidement passer au second plan ou carrément s'effacer devant les «suivantes». Et ce n'est pas seulement d'avoir été le plus gros scandale que l'affaire Khalifa a fait les choux gras de la presse et occupé l'opinion publique. Elle a été au centre de l'actualité nationale aussi – à moins que ce ne soit «surtout» – parce que toute la lumière n'a pas été faite sur sa vraie nature, ses ramifications, ses acteurs et peut-être bien sur l'exacte ampleur des dégâts économiques et financiers qu'elle a dû charrier. Parce qu'entre son éclatement sur la place publique, quelques procès pathétiques et aujourd'hui, la vraisemblable extradition de Abdelmoumène Khalifa de Grande-Bretagne, des lampistes ont payé, des noms ont été tus, des accusés notoires ont été transformés en témoins accidentels, des flagrants délits s'en sont tirés à très bon compte et le premier responsable est devenu insaisissable. Le «procès de Blida» a achevé de conforter ce qui, pour tout le monde – enfin, presque tout le monde – était déjà une certitude chez le commun des Algériens : c'est encore parti pour une affaire à étouffer dans l'œuf après avoir livré en pâture quelques minuscules exécutants sans défense, pour l'illusion. Pendant ce temps, le gros poisson, mais aussi quelques «soupeurs» intouchables pouvaient dormir tranquilles. Difficile, dans ces conditions-là, de croire que la procédure d'extradition lancée par la justice algérienne était de bonne foi et qu'elle procède d'une réelle volonté judiciaire visant la recherche de la vérité, toute la vérité. Il a été même suggéré que le fait que la partie algérienne ait tenté d'abord une négociation politique avant de se faire rabrouer par Londres, intransigeante sur les attributs et l'indépendance de sa justice en est une preuve probante. Difficile en effet de croire que ceux qui ont tenté la «transaction» ignoraient que seule la justice britannique pouvait livrer Abdelmoumène Khalifa à son pays. Ou ne pas le livrer. Mais pour ne pas avoir à redouter un déballage du «golden boy» si tant est que c'est cela sa volonté secrète, il y avait une voie de secours dont on était convaincu qu'elle est aussi efficace : si Londres est intransigeant sur les prérogatives et l'indépendance de sa justice, sa… justice a aussi cette réputation d'avoir en la matière une procédure très lente du fait des conditions draconiennes qu'elle requiert pour l'aboutissement d'une demande de ce genre. Mais voilà, la procédure peut être lente, les exigences strictes et les droits de l'accusé intouchables, une affaire comme celle de Khalifa peut quand même aboutir. Et chambouler les plans de ceux qui ont compté sur l'invraisemblance juridique du scénario. Pour ajouter à leur douleur et boucler ainsi la boucle, Abdelmoumène Khalifa a renoncé à son dernier recours pour rester à Londres : l'appel devant la Cour européenne des droits de l'Homme après le refus qu'il a essuyé de faire appel devant la Cour suprême du Royaume-Uni. Après l'affaire Chakib Khelil qui se dirigeait vers le fait accompli avant que la justice et la presse italienne ne «relancent» le scandale par des révélations trop flagrantes pour être ignorées, voilà que l'affaire Khalifa revient assombrir un ciel qui commençait à s'installer dans la… sérénité ! Il n'y a pas que ce que nous mangeons qui nous vient de l'étranger, décidément. Slimane Laouari