En première ligne en Centrafrique et au Mali, velléitaire en Syrie, pugnace dans le dossier iranien: la France a acquis en 2013 le statut, réservé de coutume aux Etats-Unis, de pays occidental le plus interventionniste. Paradoxe: la France adopte une position "guerrière" inhabituelle sur la scène internationale au moment où elle semble sur le déclin, entre difficultés à boucler son budget militaire, perte d'influence économique et apparition de nouveaux acteurs à l'instar du Qatar, de l'Inde ou du Brésil. "La France a montré qu'elle était devenue ces dernières années le plus faucon des pays occidentaux sur les dossiers au Proche-Orient et dans la région", résume Hussein Ibish, analyste à Washington du groupe de réflexion American Task force on Palestine. Et en Afrique, sa toute dernière intervention - l'opération "Sangaris" en Centrafrique - a définitivement posé la question du retour de l'ancienne puissance coloniale en "gendarme de l'Afrique". Hussein Ibish rappelle que la France a "poussé pour une intervention en Libye" en mars 2011, a "envahi et sauvé le Mali" au début de l'année, "était la plus enthousiaste à l'idée de frappes contre les sites d'armes chimiques en Syrie" en août. Et sur l'Iran, elle a ferraillé pour empêcher un "jeu de dupes" sur le programme nucléaire iranien, pesant de tout son poids pour convaincre Européens et Américains de demander plus de concessions à Téhéran. "Qu'on s'en félicite ou le déplore, la France ne joue plus le même rôle qu'hier sur la scène internationale", résumait alors l'éditorialiste Bernard Guetta dans Libération. Elle est devenue sous les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande "le plus attaché des pays de l'Alliance atlantique à défendre la sécurité, les principes et les intérêts du monde occidental". Le lancement de l'opération "Sangaris" après le feu vert de l'Onu pour rétablir l'ordre dans une Centrafrique sombrant dans le chaos est le dernier épisode de cet activisme de Paris dans le monde. "La Côte d'Ivoire en 2011, le Mali début 2013 et aujourd'hui la Centrafrique: jamais, sans doute, la France n'a fait preuve d'un tel activisme militaire sur un temps aussi court pendant que d'autres pays - la Chine, l'Inde, la Turquie - investissent à tout va", constate Libération à l'instar de l'ensemble de la presse française. Près de 1.600 soldats français sont déployés dans ce pays, dont un millier à Bangui. Mais alors que les militaires français tentent de désarmer les belligérants, notamment les combattants de l'ex-rébellion Séléka, l'armée française a été accusée par de nombreux musulmans, sympathisants de l'ex-Séléka, de "partialité" dans ses opérations et des manifestations exigent son départ. La France connaît ainsi, après les Etats-Unis, le revers de la médaille de l'interventionnisme: critiques sur sa stratégie et accusations de "néocolonialisme". "Ambitions mais moyens limités" Pendant près de 50 ans, la politique étrangère de la France avait suivi la doctrine instaurée par le général de Gaulle visant à placer à bonne distance les géants soviétique et américain, et Israël. Ce non-alignement a perduré sous le président socialiste François Mitterrand et culminé en 2003 lors du "non" de Jacques Chirac à l'invasion de l'Irak de Saddam Hussein. Il y a dix ans, les Républicains américains criaient au boycott de la France et qualifiaient les Français de "singes capitulards bouffeurs de fromage". Aujourd'hui, l'influent sénateur américain John McCain tweete "Vive la France" à propos du bras de fer mené avec l'Iran. Que s'est-il passé entre-temps? La gestion offensive - similaire - de Nicolas Sarkozy et François Hollande a accompagné un renouvellement de générations aux Affaires étrangères, dans l'armée et les services secrets. La nouvelle a grandi dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 à New York et fait ses armes dans la lutte antiterroriste, notamment en Afghanistan et au Sahel. Paris a aussi profité en partie du "vide" relatif laissé par les Etats-Unis au Moyen-Orient. Après une décennie de guerres en Afghanistan et Irak, Washington a rapatrié ses GI's, réorientant son action sur l'Asie. "Les pays comme la France connaissent très bien l'équilibre des pouvoirs au Proche-Orient et ils veulent protéger leurs intérêts", souligne Alireza Nader, expert du centre de réflexion RAND. "Il ne s'agit pas seulement du programme nucléaire (iranien) mais également de calculs de pouvoir et d'équilibre. La France protège la sécurité d'Israël mais a aussi des liens étroits avec l'Arabie saoudite et les pays du Golfe", dit-il. En août, la Syrie a toutefois brutalement ramené les Français au principe de réalité. Après la mort de 1.500 personnes tuées par des armes chimiques près de Damas, la France pensait avoir convaincu les Etats-Unis de lancer des frappes sur les installations militaires syriennes. Mais une reculade à la dernière minute de Barack Obama a laissé François Hollande seul en première ligne, l'obligeant à baisser pavillon. Cruel constat de l'analyste arabe Mustapha Al-Ani du Gulf Research Centre: la France "n'a pas les moyens de sa politique" au Proche-Orient car sa diplomatie "reste tributaire de la politique des Etats-Unis". Directeur de l'institut politique Issam Fares, Ramy Khory, tempère ce jugement: "La France ne pourra pas jouer un rôle aussi important que les Etats-Unis au Proche-Orient, mais elle peut très certainement (y) jouer un rôle dynamique, efficace et constructif".