L'opposition laïque tunisienne a obtenu dimanche le vote d'un amendement au projet de Constitution interdisant "les accusations d'apostasie", à la suite de menaces contre un élu de gauche après qu'un député islamiste l'a qualifié d'ennemi de l'Islam. L'amendement en question, adopté par 131 voix sur 182 votants vers 20H00 GMT (21H00 locale), "prohibe les accusations d'apostasie et l'incitation à la violence". Il avait été présenté une première fois samedi mais rejeté. Il s'ajoute à un article adopté samedi consacrant la liberté de conscience, l'Islam comme religion d'Etat et rejetant l'islam comme source de droit. L'amendement intervient à l'issue d'une longue journée de négociations et de polémique entre les islamistes du parti Ennahda et l'opposition laïque qui menaçait de boycotter les séances de la Constituante sur l'adoption de la Constitution. Dans la société civile, des voix se sont élevées contre ce texte, estimant qu'il constituait une atteinte à la liberté d'expression. "Les constituants tunisiens du camp islamiste jusqu'au camp dit démocrate ont voté aujourd'hui contre la liberté d'expression", a dénoncé sur Twitter, Amira Yahyaoui, présidente de l'ONG Al Bawsala, qui milite notamment pour la transparence dans la vie politique. Insultes et Menaces La polémique qui a paralysé la Constituante dimanche a été provoquée par des propos la veille de Habib Ellouze, un élu de la frange radicale d'Ennahda, qui avait jugé notamment que le député de gauche Mongi Rahoui était "connu pour son animosité pour l'islam". M. Rahoui a affirmé dans l'hémicycle que ces propos étaient à l'origine de menaces de mort à son encontre. "Ce qui a été dit hier (samedi) par ce cheikh, comme quoi (...) j'étais l'ennemi de l'Islam, a conduit à des menaces de mort contre moi", a-t-il dit. Pour l'opposition, les propos en question ont fait de l'élu une cible, alors que deux opposants de gauche ont été assassinés en 2013, crimes attribués à la mouvance jihadiste. Les détracteurs d'Ennahda jugent d'ailleurs les islamistes au pouvoir responsables, au moins par leur laxisme, de l'essor de ces groupes salafistes. Le ministère de l'Intérieur a indiqué dans un communiqué avoir reçu des informations sur des menaces contre M. Rahoui et deux autres personnes circulant sur Facebook. Une enquête a été ouverte et des "précautions sécuritaires" prises. Ennahda a de son côté condamné à plusieurs reprises les propos de Habib Ellouze qui, après avoir un temps tergiversé, a aussi présenté des excuses. L'examen du projet de Constitution, lancé vendredi dans un climat chaotique, a été régulièrement suspendu par des accusations et des disputes entre députés. Dans la soirée de dimanche, la Constituante a finalement repris ses travaux, achevant l'approbation des "dispositions générales" avec les articles 16 à 19. Les élus devront examiner à partir de lundi le chapitre consacré aux "Droits et Libertés". Résoudre la crise politique Les députés devaient encore s'atteler dans la nuit de dimanche à lundi à la formation de l'instance électorale qui sera chargée d'organiser les prochains scrutins courant 2014. La classe politique s'est engagée à adopter la Loi fondamentale avant le 14 janvier, 3e anniversaire de la révolution qui marqua le début du Printemps arabe. L'adoption de ce texte et la formation d'une loi et d'une commission électorales sont les clefs de voûte d'un accord entre opposants et Ennahda pour résoudre une profonde crise déclenchée par l'assassinat le 25 juillet du député de gauche Mohamed Brahmi, le deuxième meurtre en 2013 attribué à la mouvance jihadiste. A l'issue de ce processus, Ennahda s'est engagé à céder la place à un gouvernement d'indépendants dirigé par l'actuel ministre de l'Industrie, Mohamed Jomaâ. Le principal médiateur de la crise politique, le syndicat UGTT, a exigé que le Premier ministre islamiste Ali Larayedh démissionne au plus tard le 9 janvier. Une rencontre entre les médiateurs de la crise et MM. Larayedh et Jomaâ doit avoir lieu lundi. Elue en octobre 2011, la Constituante devait achever sa mission en un an, mais le processus a été ralenti par un climat politique délétère, l'essor de groupes jihadistes armés et des conflits sociaux.