Après avoir écrasé les Frères musulmans en Egypte, le pouvoir militaire qui tient le pays depuis la destitution du président Mohamed Morsi a dans son viseur le Hamas palestinien, qui contrôle la bande de Gaza voisine, déclarent de hauts responsables de la sécurité au Caire. Cela implique de travailler avec des ennemis politiques du Mouvement de la résistance islamique et de soutenir toute manifestation populaire anti-Hamas à Gaza, disent ces quatre responsables issus des milieux sécuritaires et diplomatiques. L'armée égyptienne, après avoir déposé Mohamed Morsi le 3 juillet dernier, a étouffé l'économie de la bande de Gaza en détruisant la plupart des 1.200 tunnels utilisés pour transporter clandestinement de la nourriture, des armes ou des voitures vers l'enclave palestinienne, qui est soumise au blocus d'Israël depuis que le Hamas s'en est emparé en 2007. Mais les autorités du Caire sont devenues plus ambitieuses et souhaitent éradiquer ce qu'ils considèrent comme une organisation menaçant la sécurité nationale de l'Egypte. Les opérations des services de renseignement visent à saper la crédibilité du Hamas. Selon des responsables égyptiens, le groupe sera confronté à une résistance croissante de militants qui lanceront un mouvement de protestation similaire à celui qu'a connu l'Egypte et qui a conduit à la chute de deux présidents - Hosni Moubarak et Mohamed Morsi - depuis 2011. "Gaza est le prochain sur la liste", dit un haut responsable de la sécurité souhaitant rester anonyme. "On ne peut pas se libérer du terrorisme des Frères musulmans en Egypte sans y mettre fin à Gaza, qui est à nos frontières." 20.000 COMBATTANTS L'Egypte, qui a classé les Frères musulmans comme organisation terroriste en décembre après six mois de répression implacable contre la confrérie, accuse le Hamas de soutenir les groupes affiliés à Al Qaïda qui revendiquent régulièrement des attaques contres les forces de sécurité dans le Sinaï. Les Frères musulmans égyptiens et le Hamas, historiquement proche de la confrérie, rejettent ces accusations. Ce qui fait sourire un responsable de la sécurité égyptienne : "La direction du Hamas peut dire ce qu'elle veut sur son rôle dans le Sinaï. Nous ne fondons pas notre jugement sur ses déclarations, mais sur nos renseignements et nos informations." Les Frères égyptiens disent lutter pacifiquement pour leurs idées quand le Hamas, lourdement armé, se prévaut d'années d'expérience de combat contre Israël. Interrogé sur les propos des responsables égyptiens, un représentant du Hamas y voit une volonté d'inciter à la violence et de provoquer une situation de chaos. "Nous réaffirmons que le Hamas n'est jamais intervenu et n'interviendra jamais dans les affaires intérieures égyptiennes", a déclaré le porte-parole du mouvement islamiste, Sami Abou Zouhri, à Reuters. "Personne ne devrait ne serait-ce que rêver d'affaiblir le Hamas." Le Hamas compte environ 20.000 combattants, et 20.000 autres hommes affectés aux services de police et de sécurité. En dépit des difficultés économiques, le mouvement peut encore compter sur un important soutien de la population de la bande de Gaza, qui compte 1,8 million d'habitants. Mais les services égyptiens espèrent exploiter les tensions entre groupes rivaux. "Nous savons que le Hamas est puissant et armé mais nous savons aussi qu'il y a d'autres groupes armés à Gaza qui ne sont pas en bons termes avec le Hamas", explique une source. "Tout le monde veut boire, manger et avoir une vie décente. Si un gouvernement, armé ou pas, n'arrive pas à fournir cela, le peuple finira pas se lever contre lui." TAMAROD PALESTINIEN Début janvier, les autorités du Caire ont publiquement adoubé une conférence d'un nouveau mouvement anti-Hamas baptisé Tamarod (Révolte), le nom déjà choisi par de jeunes militants égyptiens pour réclamer le départ du président Mohamed Morsi au printemps 2013. De jeunes militants, drapeau palestinien enroulé autour du cou, ont dénoncé des "crimes" - brutalité, tortures - contre des compagnons de lutte à Gaza, en présence de représentants de mouvements de gauche égyptiens et du Fatah, le grand rival du Hamas, qui tient les rênes de la Cisjordanie. Le Centre palestinien pour les droits de l'homme a déjà accusé l'an dernier le Hamas d'orchestrer une vaste répression contre des militants soupçonnés de vouloir organiser en novembre une manifestation sur le modèle de Tamarod. D'Egypte, des militants annoncent un rassemblement à Gaza pour le 21 janvier. Le Hamas voit dans les militants de Tamarod des agents israéliens et dément toute allégation de torture. L'Egypte espère que de futures actions répressives du Hamas pourront se retourner contre la direction du mouvement islamique. "Le monde ne restera pas les bras ballants, quelqu'un interviendra", assure un des responsables de la sécurité. "Mais pour l'instant, nous ne travaillons qu'à allumer la première mèche." La déstabilisation du Hamas souhaitée par Le Caire, ajoutent cependant ces sources, prendra sans doute des années. "L'aide fournie par l'Egypte aux groupes anti-Hamas sera logistique, pas financière. Les Tamarods ne coûtent pas grand-chose", dit une source.