Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, a dénoncé mardi "une attaque perfide" après la diffusion sur YouTube d'un enregistrement sonore, présenté comme une conversation dans laquelle il demande à son fils de faire disparaître une forte somme d'argent. Lors d'un discours au parlement devant les élus du Parti pour la justice et le développement (AKP), sa formation islamo-conservatrice, Recep Tayyip Erdogan a présenté l'enregistrement de 11 minutes, rendu public lundi soir, comme un "montage éhonté". "Le peuple ne croit pas à ces mensonges", a dit Recep Tayyip Erdogan, sous les applaudissements de son auditoire, dont des membres s'exclamaient: "Tayyip, nous sommes venus pour mourir avec toi!", ou "Tiens bon, ne cède pas!". Dans une allusion voilée au réseau Hizmet (le "Service") du prédicateur exilé Fethullah Gülen, ancien allié du Premier ministre devenu son rival politique, Recep Tayyip Erdogan a accusé ses ennemis d'être parvenus à écouter des conversations au plus haut niveau de l'Etat. "Ils sont même en train d'écouter les téléphones cryptés", a-t-il dit. "Voilà où ils sont tombés." "Nous allons révéler point par point toutes les ignominies de cette organisation parallèle et allons tellement faire honte à ses compagnons de route qu'ils n'oseront plus sortir dans la rue", a ajouté le Premier ministre. Ses services ont également affirmé que les enregistrements diffusés sur YouTube étaient des faux et que leurs auteurs devraient en "répondre devant la loi". Reuters n'a pas été en mesure d'en vérifier l'authenticité. La voix attribuée à Recep Tayyip Erdogan dit à celui qui est présenté comme son fils Bilal de faire disparaître de chez lui d'importantes sommes d'argent, le jour même où, à la mi-décembre, éclatait une enquête pour corruption qui a éclaboussé le gouvernement. Selon plusieurs responsables du gouvernement, l'enregistrement, dans lequel la voix attribuée à Bilal Erdogan dit qu'il lui reste à faire disparaître 30 millions d'euros, a été fabriqué à partir d'éléments pris hors contexte. "On a écouté le Premier ministre, on a écouté le chef du renseignement, des ministres et beaucoup d'autres", a déclaré l'un des responsables. "On écoute les conversations téléphoniques pendant 18 mois, on vous écoute et puis on sélectionne deux ou trois phrases à partir de ces 18 mois d'enregistrements." MANIFESTATION À ANKARA Dans l'opposition, Faruk Logoglu, vice-président du Parti républicain du peuple (CHP, gauche laïque) a dit n'avoir aucun doute quant à l'authenticité des enregistrements. "Dire qu'ils sont faux, cela ne signifie pas qu'il ne s'est rien passé", a-t-il dit. "Que peut-il dire d'autre? Dans une démocratie qui fonctionne un tant soi peu, la première chose que doit faire le Premier ministre, c'est démissionner." À Ankara, la capitale, un rassemblement contre la construction d'une autoroute s'est transformé en manifestation contre le Premier ministre. La police antiémeute a dispersé à l'aide de canons à eau et de gaz lacrymogènes des centaines de personnes qui scandaient: "Tayyip Erdogan, voleur!" et "Démission du gouvernement!". Après la diffusion des enregistrements, Recep Tayyip Erdogan a tenu une réunion extraordinaire avec le vice-Premier ministre Besir Atalay, le ministre de l'Intérieur Ekfan Ala et le chef des services de renseignement Hakan Fidan. L'enregistrement fait surface deux jours après l'entrée officielle en campagne de l'AKP pour les élections locales de la fin mars, alors que le gouvernement accuse Hizmet et Fethullah Gülen d'avoir créé ces dernières années un "Etat parallèle" en Turquie, en s'appuyant sur ses relais dans la justice et la police, afin de renverser le pouvoir actuel. Le gouvernement a répliqué en destituant ou en mutant plusieurs milliers de policiers et faisant adopter une loi qui permet aux autorités de bloquer l'accès à des sites internet en quelques heures, sans que la justice ait à en donner l'ordre. Selon le journal Star, Yalçin Akdogan, conseiller de Recep Tayyip Erdogan, le ministre de l'Intérieur, le chef des services de renseignement et des responsables de plusieurs partis politiques figurent parmi les personnalités mises sur écoutes depuis trois ans par les amis de Fethullah Gülen. Un avocat de Fethullah Gülen, Nurullah Albayrak, a rejeté ces accusations qui, a-t-il dit, ne peuvent que contribuer à entretenir un "climat de haine" dans la société turque.