Le procureur de l'Etat espagnol a demandé hier aux juges de la Haute Cour, Pablo Ruiz et Ismaël Moreno, de ne pas archiver l'«affaire des 542 disparus sahraouis» à la suite de l'occupation du Sahara occidental par le Maroc en 1975. Le procureur estime dans sa lettre aux deux magistrats que la limitation de la compétence des juges espagnols en matière de justice universelle ne concerne pas l'instruction de ce «délit de génocide» dans l'ancienne colonie espagnole. Il y a un mois, le Parlement national avait adopté un projet de réforme de la Loi organique du pouvoir judiciaire, déposé par le gouvernement de Mariano Rajoy pour limiter la compétence des juges espagnols dans les cas de délits commis à l'étranger. Ce projet avait été préparé par le gouvernement espagnol à la suite du mandat d'arrêt international lancé par la Haute Cour espagnole via Interpol contre cinq hauts dirigeants chinois, dont un ex-Premier ministre, accusés de «crimes au Tibet». Pékin avait vigoureusement protesté contre cette procédure judiciaire et rejeté les arguments de «l'indépendance du pouvoir judiciaire en Espagne» avancés par Madrid. Pour ne pas compromettre les juteux contrats d'investissements chinois dans son pays, Mariano Rajoy a donc pris cette décision sur la limitation de la justice universelle. Israël dont les dirigeants sont dans le collimateur des juges européens pour leurs crimes à Ghaza, s'est senti soulagé par cette mesure que le Maroc a applaudie des deux mains. «Des citoyens espagnols !» Rabat avait de bonnes raisons de pavoiser. En effet, le 14 septembre 2006, des associations de soutien au peuple sahraoui avaient porté plainte contre 31 hauts responsables civils et militaires marocains, dont le général Hosni Benslimane, patron de la gendarmerie royale et l'ex-ministre de l'Intérieur Driss Basri, pour le cas de ces 542 disparus qui étaient alors des citoyens espagnols. Le délit de «génocide» a été commis dans une province espagnole (le Sahara) contre des citoyens espagnols, fait observer le procureur en soutenant que «juridiquement, le Sahara occidental continue d'être à ce jour territoire non autonome soumis au processus de décolonisation puisque du point de vue du droit international le Maroc ne dispose d'aucun titre de souveraineté sur le Sahara occidental». Le magistrat soutient encore que «l'Espagne était la puissance qui administre son ancienne colonie au moment de son invasion par le Maroc et ne peut pas classer une affaire comme celle-ci qui la concerne directement, faute de quoi elle violerait le droit international». Avant d'être démis de ses fonctions pour avoir décidé d'exhumer les tombes communes des républicains assassinés sous le général Franco, Baltazar Garzón fut le premier magistrat à juger recevable juridiquement la plainte des associations civiles espagnoles contre le Maroc. A son initiative, une commission rogatoire avait été engagée dans l'affaire des 542 disparus sahraouis à laquelle le Maroc n'a pas répondu. Ismaël Moreno et son collègue Pablo Ruiz ont pris l'affaire en mains et décidé de rouvrir ce dossier que les lobbys pro-marocains voulaient qu'il soit archivé à la faveur de la réforme de la loi espagnole sur la justice universelle.