L'Assemblée constituante tunisienne a auditionné vendredi deux ministres visés par des motions de censure les accusant de "normalisation" avec Israël pour avoir permis l'entrée de touristes israéliens en Tunisie, une affaire qui fait polémique depuis des semaines dans le pays. Les documents déposés fin avril contre la ministre du Tourisme Amel Karboul et le ministre délégué à la Sécurité auprès du ministre de l'Intérieur, Ridha Sfar, affirment que ce dernier a autorisé par écrit l'entrée de touristes israéliens en Tunisie, et que Mme Karboul a accueilli un groupe venu de l'Etat hébreu. Le vote doit avoir lieu plus tard dans la journée. Une majorité des 3/5 des 217 élus est nécessaire pour démettre chacun des ministres, soit 131 voix. Le gouvernement avait demandé à ce que les débats soient secrets pour des raisons de "sécurité nationale", mais la majorité requise pour le huis clos n'a pas été atteinte. 'Souveraineté' La ministre du Tourisme a démenti avoir accueilli une délégation israélienne comme l'en accuse la motion, en justifiant ses déclarations favorables à l'entrée de touristes de toutes nationalités par la nécessité de relancer le tourisme, un secteur-clé durement affecté depuis la révolution de janvier 2011. Auparavant, le député centriste Iyed Dahmani avait affirmé que les motions envoyaient "un message clair: cette question (des relations avec Israël) est une ligne rouge dans la politique et les relations extérieures de la Tunisie". Le député de gauche Faycel Jadlaoui a de son côté estimé que permettre l'entrée des Israéliens en Tunisie "porte atteinte à la souveraineté de l'Etat". "Nous n'avons pas fait la révolution pour que la première mesure révolutionnaire qu'on prenne soit la normalisation avec l'entité sioniste", a-t-il lancé sous les applaudissements. Le ministre délégué à la Sécurité auprès du ministre de l'Intérieur s'est défendu de toute normalisation, en précisant n'avoir fait que suivre une procédure en vigueur depuis des années. "L'affaire est purement administrative (...). Nous ne traitons pas avec des documents israéliens", a dit M. Sfar aux députés, expliquant que les touristes venus de l'Etat hébreu entraient dans le pays avec des laissez-passer tunisiens, Tunis ne reconnaissant pas les passeports israéliens. Il a également justifié sa note écrite autorisant l'entrée d'Israéliens par la nécessité de répondre à une "campagne internationale" accusant la Tunisie de "discrimination", après la décision d'un responsable du port de La Goulette (nord de Tunis) d'interdire à un groupe d'Israéliens en croisière de débarquer en mars. La compagnie de croisières basée aux Etats-Unis avait à l'époque dénoncé "un acte discriminatoire" et annoncé qu'elle annulait toutes ses escales en Tunisie. Question sensible En Tunisie, comme dans de nombreux pays arabes, la question des relations avec Israël est sensible. Au nom de la solidarité avec le peuple palestinien, nombreux sont ceux à rejeter toute action susceptible d'établir des relations "normales" avec l'Etat hébreu tant que les Palestiniens n'auront pas d'Etat. Beaucoup rappellent aussi qu'Israël a bombardé en 1985 la localité tunisienne de Hammam-Chott, où se trouvait le QG de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), tuant 68 personnes, puis a assassiné le numéro deux de l'OLP, Abou Jihad, à Tunis en 1988. Le Premier ministre Mehdi Jomaa a récemment qualifié la polémique de "faux débat" en appelant à éviter les controverses à l'approche du pèlerinage juif de la Ghriba (16-18 mai), du nom de la plus ancienne synagogue d'Afrique située à Djerba (sud). "Normalisation, pas normalisation, laissons de côté ces grandes causes s'il vous plaît", avait-il lancé à l'adresse des élus, scandalisant certains d'entre eux. "De l'avis des professionnels du tourisme (...), pour que la saison touristique réussisse, il faut que le rendez-vous de la Ghriba soit réussi", avait-il ajouté. Des députés ont rétorqué que son gouvernement ne pouvait "faire passer la normalisation au nom de l'économie". D'autres, comme Mahmoud Baroudi, ont au contraire dénoncé des "surenchères vides de sens". Ce dernier a dit à ses collègues favorables au retrait de confiance "d'aller donner leur salaire aux gens" vivant du tourisme.