Un quotidien espagnol à grand tirage, La Razón, de surcroît de droite pure et dure, s'est indigné que le ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement de gauche en Espagne, Miguel Angel Moratinos, s'est prononcé, plus ou moins ouvertement, mardi contre le référendum d'autodétermination au Sahara occidental. «Moratinos s'est démarqué, officiellement, de la défense du nostalgique référendum d'autodétermination, cette vieille aspiration du peuple sahraoui traditionnellement appuyée par l'Espagne, qu'il n'estime pas nécessaire comme moyen pour parvenir à une solution politique, juste et acceptable» par le Maroc et le Front Polisario. Il a fait «mieux». Il a appelé à une action coordonnée des Etats-Unis, de la France et de l'Espagne pour «exiger des parties en conflit, le Maroc et le Front Polisario, plus de responsabilité dans la recherche d'une solution politique, juste et durable» au conflit du Sahara occidental. Selon lui, «les trois pays sont les plus intéressés dans la recherche d'une solution définitive et doivent agissent conjointement», autrement dit faire pression. Il est peu probable que son idée soit de faire pression sur le Maroc, «le meilleur allié» de l'Espagne de Zapatero au Maghreb, malgré les contentieux en suspens entre les deux pays dont Ceuta et Melilla n'est pas des moindres et que Rabat qualifie de «villes occupées». Pour sûr que la pression doit se faire sur la position maillon faible, le Front Polisario. On voit mal aussi comment la France, principal soutien au monde du Maroc dans cette affaire, puisse adopter, comme par miracle, une position de nature à la brouiller durablement avec son meilleur partenaire économique maghrébin. Le grain de sable Les Etats-Unis, on le sait, voient le problème du Sahara occidental comme un «grain de sable». Alliés traditionnels du Maroc, ils n'iront pas jusqu'à contrarier leurs intérêts avec le royaume alaouite, même si on prête à Obama une meilleure prédisposition que ses prédécesseurs envers les causes justes et les problèmes de décolonisation. L'idée de M. Moratinos n'est donc ni plus ni moins qu'une manœuvre destinée à limiter le champ d'action du nouveau représentant personnel du secrétaire général de l'ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross, qui a démontré son attachement au principe du droit à l'autodétermination. Une manœuvre pour faire pression non pas sur les deux parties au conflit mais sur celui qui a la charge d'aider à sortir le conflit de l'impasse. Bien entendu, trop habile, le chevronné chef de la diplomatie du président socialiste José Luis Zapatero n'a pas dit les choses dans les termes rapportés par La Razón, mais l'idée y était au cours de son intervention de mardi devant le congrès des députés sur le problème du Sahara occidental. Trop habile ou trop prudent Trop habile ou trop prudent, M. Moratinos avait en face de lui les députés socialistes qui ne partagent pas tous l'opinion controversée du gouvernement de leur parti (le PSOE) sur ce problème qui donne mauvaise conscience à l'Espagne pour avoir abandonné son ancienne colonie au Maroc sans l'avoir menée à la décolonisation. Il y a avait surtout le reste des formations politiques, de gauche comme de droite, nationalistes ou non, qui ne sont jamais gênées pour rappeler la position traditionnelle qui a toujours été celle de l'Espagne. En résumé, respect du droit à l'autodétermination et de la légalité internationale et négociations directes entre les deux parties impliquées dans ce conflit. Et puis, Mohamed Abdelaziz se trouvait à ce moment même à Murcie où il multipliait entretiens et contacts avec les responsables locaux dont le président du gouvernement autonome de la région de Murcie, Ramón Luis Valcárcel, le maire de la ville, Miguel Angel Cámara, et les membres de la société civile qui ne se font aucun complexe pour crier fort leur soutien à la cause sahraouie. C'est évident. Moratinos savait devant qui il parlait et de quoi il parlait. Depuis qu'il est à la tête de la diplomatie de son pays il a eu le mérite de n'avoir jamais fait mystère de son inclinaison pour les thèses marocaines. L'opposition, toutes tendances confondues, lui reprochera souvent de s'écarter de la position traditionnelle de l'Espagne, en n'évoquant le droit à l'autodétermination que lorsqu'il a le dos au mur, face aux pressions de la société civile. Il entretient le flou à dessein. Autodétermination mais pas de référendum. Cela veut dire quoi au juste dans son esprit ? Que le peuple sahraoui peut s'autodéterminer très bien (se prononcer) sur le plan d'autonomie présenté par Rabat et dont on dit qu'il en est l'inspirateur. Il ne faut pas être juriste pointilleux pour deviner que l'autodétermination est un principe et le référendum seulement une technique parmi d'autres pour faire valoir ce «droit». Voilà sur quoi joue l'Espagne, en ce moment. Sauf que, comme dirait le représentant du Front Polisario à New York, Ahmed Boukhari, ni Rabat ni Madrid ne sont capables de dire ce qui se passerait si le peuple sahraoui acceptait de jouer le jeu des Marocains, et se prononçait contre le plan d'autonomie, du moment qu'il ne doit répondre qu'à une seule question : pour ou contre le plan. Etre contre signifie-t-il alors, de fait, reconnaissance du droit à l'indépendance ou du statu quo actuel : l'occupation militaire éternelle. Un parti, trois positions Mardi, pas plus que les fois précédentes, Moratinos n'a pas convaincu de la «bonne foi» du gouvernement socialiste dans cette affaire où il appelle à la mobilisation des puissances occidentales pour classer l'affaire du Sahara occidental et par la même occasion espérer que le Maroc accepte de fermer les yeux sur les deux enclaves. A moins que le marché ne soit déjà passé entre Madrid et Rabat, à la manière secrète de l'accord de Madrid de 1975. Le parti populaire lui avait reproché ironiquement de formuler plusieurs positions à la fois : une à Rabat, une autre à Tindouf et une troisième devant les parlementaires espagnols, le tout pour affirmer que la position de l'Espagne n'a pas changé. Pour le représentant du communiste Gazpar Llamazares «l'intervention de Moratinos ne correspond pas aux actes» du gouvernement. L'un des premiers actes de l'actuel chef de la diplomatie espagnole n'a-t-il pas été d'encourager le Maroc à rejeter le plan Backer et de mettre sur la table la solution «autonomiste» ?