Son «gaillard» passe le bac. Depuis quelques jours déjà, Salima est intenable. «C'est à croire que c'est toi qui vas subir l'épreuve, maman, calme-toi un peu, si tu ne veux pas que je stresse encore plus», lui a-t-il dit quand il n'en pouvait plus de la voir autant agitée. Oui, «son gaillard» est maintenant un jeune homme qui s'est même laissé pousser une petite barbe. Un «filet comme affectionnent les jeunes branchés». Salima ne rate jamais cette précision, des fois qu'on penserait que son gaillard aurait rejoint les rangs des petits barbus illuminés du quartier et du lycée. Salima remonte la cassette du temps et comme toutes les autres, elle trouve que son petit a… grandi trop vite. Il passe le bac, vous vous rendez compte ? Mais comment a-elle fait pour ne pas voir grandir son enfant, elle qui ne l'a jamais quitté depuis ce jour béni où il est venu au monde ? Eh bien, elle l'a sans doute trop regardé pour le voir. Salima a eu un mariage qui a tourné court mais elle ne le regrette pas. Rien que pour lui avoir donné ce garçon très vite devenu «l'homme de sa vie», elle répète à l'envi que sa brève liaison conjugale a été ce qui lui est arrivé de meilleur dans sa vie. Non, ce n'est pas un refuge d'aigrie, ce n'est pas une piètre consolation et elle le montre chaque jour que Dieu fait. De son bonheur à donner du bonheur à son enfant, Salima est heureuse. De travailler dur pour ne rien lui refuser, elle a fait un credo. De l'attention, de l'affection et de la disponibilité pour lui, elle a fait un rythme de vie. Et il le lui rend bien. Bien sûr, il a ses caprices et quelques «boulettes» qui ont parfois peiné sa tendre maman mais il s'est toujours ressaisi pour ne jamais la décevoir. Il va passer son bac, vous vous rendez compte ? Non seulement il a grandi mais le gaillard de sa mère va affronter une épreuve, la plus importante de sa vie de jeune homme. Ne parlez surtout pas de résultat à Salima. Il va l'avoir, il a toujours tout eu, jusque-là. Non, ce n'est pas une vantardise démesurée d'une maman pour qui le rejeton est le centre du monde, le plus beau et le plus intelligent. C'est juste une… certitude. Son garçon a toujours été un brillant élève. Pour Salima, c'est l'exemple, la preuve imparable qu'on peut être gâté, capricieux et excellent en classe. Ces derniers jours, elle en a encore rajouté une couche dans ses déjà légendaires sollicitudes. Il fallait le mettre dans les meilleures conditions pour se préparer à la grande épreuve. Salima a refait la chambre de son gaillard, mis un nouveau mobilier, lui a offert un ordinateur plus performant et veillé à ce qu'il ne manque de rien. A plusieurs reprises, il lui a quand même dit qu'elle en faisait un peu trop mais il ne s'en est pas plaint outre mesure. De toute façon, il se sait impuissant devant la réplique fatale de sa mère. Ce sourire «monstrueux de malice affective ponctué de la même phrase, il n'y peut rien : «Rien n'est de trop pour toi, mon fils». Hier, après l'avoir déposé au centre d'examen, Salima s'est quand même posé cette question : il aura son bac, mon gaillard. Et après ? [email protected]