Constantine, ce sont les robes en medjboud et en fetla, c'est le café El Djezwa. Constantine, c'est le malouf bien gardé et transmis par Fergani. Si on arrive à Constantine pour la première fois, mis à part la beauté des sites et des ponts, on pourrait ne pas s' y sentir bien à cause de l'ambiance nerveuse et des insultes qu'on entend tout le temps en plein centre-ville. Mais si l'on décide d'arpenter les venelles de son ancienne Casbah tôt le matin, on s'y sent mieux et on se remémore que cette ville regorge d'hommes de culture et d'artistes. Après avoir été invité à un «double zit» (pois chiche à l'huile), on entend les premières notes d'une chanson de Hadj Tahar Fergani d'un café ou par la fenêtre d'une maison. De Ziryab à Fergani En effet, Constantine ne vit qu'au rythme du malouf, cette musique qui a fait les beaux jours de Baghdad avant d'être semée à travers le monde par Ziryab. En Irak, le zedjel a connu plusieurs changements à travers le temps et dans chaque région. Dans le Constantinois et à Annaba, on l'appelle malouf (en arabe, la chose à laquelle on s'y habitue). Les Constantinois qui voyageaient souvent en Tunisie se sont habitués à cette musique et l'ont introduite en Algérie. En effet, Ziryab, qui avait fui son pays, s'était d'abord installé à Carthage, en Tunisie, avant d'aller en Espagne, où il composera d'autres musiques qui feront leur apparition à Béjaïa, Alger, Mostaganem, Oran et Tlemcen avec la venue des Espagnols. Cette musique venue d'Espagne s'appellera désormais l'«andalou», contrairement au malouf venu directement de Tunisie. Il faut dire que les écoles de Constantine, de Annaba, de l'Algérois et de l'Ouest ont la même origine (zedjel et mouwecheh), elles ont eu aussi de l'influence l'une sur l'autre et des échanges. D'ailleurs, le hawzi né du côté de Tlemcen est chanté aussi bien à Alger qu'à Constantine. D'ailleurs, l'auteur des belles chansons hawzi Rouhi Thasbek Ya âdra et Errbiê Eqbel est constantinois. Aujourd'hui, il est impensable de parler de malouf sans citer le grand maître Hadj Tahar Fergani. La relève Si dans certaines villes d'Algérie, on s'inquiète de la relève, cette question n'effleure même pas les esprits concernant Constantine, car le maître a formé toute une génération d'artistes, dont une trentaine issue de la famille Fergani. Son fils Selim a repris tout le legs de son paternel. A chaque fois que l'occasion lui est donnée, Hadj Tahar Fergani rend hommage à ses maîtres, dont son père Cheikh Hammou, Cheikh Amine Khodja dit Hessouna, les grands maîtres Abdelmoumène Bentoubal, H'sen El Annabi et bien d'autres qui ont suivi la voie de Cheikh Dersouni et des anciens maîtres du malouf. Cet art, bien ancré à Annaba et à Constantine a été enrichi grâce à Hadj Hadj Fergani et transmis à toutes les régions d'Algérie et même à l'étranger. Après les passages de chanteurs tels que Selim Fergani, Bennani ou Layachi Dib dans les salles européennes, notamment en France, la demande de ce genre de musique ne cesse d'augmenter auprès de notre communauté émigrée et des Européens. Il faut dire que des chanteurs tels que Enrico Macias et avant lui, son oncle Cheikh Raymond et Simone Tamar ont joué un rôle dans l'exportation de cette musique vers la France. Tout comme les Fergani, les Bestandji, issus eux aussi d'une lignée de musiciens, continuent la tradition en défendant cet art. Le malouf ne peut toutefois être dissocié de certains noms tels que Omar Chenoufi dit Tcheqleb, Kara Baghli, Mellouk, Boukabous et H'mida Ben Lemsabeh. Ces trois derniers ont vécu entre 1800 et 1900.