Ce n'est certainement pas jouer au rabat-joie que d'éprouver quelque embarras à voir ce concert de klaxons et cette liesse «populaire» à la petite semaine pour une victoire contre la Corée du Sud, un pays qui est au football à peu près ce que l'Algérie est au ski alpin. Mais c'est peut-être aussi manquer d'humilité, voire faire preuve de mauvaise foi que d'affirmer que cette «performance» était prévisible. Si le football n'est pas dans la culture sportive des Coréens où son ancrage populaire reste faible parce qu'on ne s'invente pas une passion de masse au pied levé, il reste que ce pays a fait d'énormes progrès en l'occurrence, tandis que nous faisons du surplace. Enfin, du surplace pour rester gentils, parce que la plus grande performance en Coupe du monde remonte quand même à… trente-deux ans ! Et si aucun enfant coréen ne joue au foot dans la rue, alors qu'en Algérie on en joue jusque dans les couloirs d'appartement, cela n'a pas empêché ce pays de se forger une élite dans ce sport qui se rapproche petit à petit du plus haut niveau mondial. A l'image de sa sélection nationale et de quelques clubs qui, s'ils ne se sont pas encore distingués en termes de titres, n'en assurent pas moins à la Corée du Sud une présence régulière dans les compétitions internationales et continentales. Une présence régulière, oui. Parce que les Coréens, s'ils ne se faisaient pas une grande illusion sur la possibilité d'être tout de suite dans la haute performance pour des raisons évidentes, avaient tout de même rapidement saisi les enjeux économiques et culturels qui entourent ce sport. Un phénomène de masse d'une telle ampleur planétaire ne pouvait logiquement pas échapper à l'œil vigilant des laboratoires d'un pays qui a été un exemple de prouesses dans pratiquement tous les domaines du développement humain depuis près d'un demi-siècle. Pendant que les Algériens défilaient avec des voitures coréennes, prenaient en photo et filmaient leurs bruyants cortèges avec des appareils coréens après avoir regardé le match sur des téléviseurs coréens, personne dans la foule n'y a pensé. Surtout pas plus loin que la foule où on devait être déjà affairé à tirer les meilleurs dividendes d'une victoire qui ne qualifie même pas la sélection nationale algérienne au deuxième tour. Et de veiller à ce que les feux d'artifice, les voitures et tout le reste de la logistique d'usage discrètement confiés aux… organisateurs de joie spontanée fonctionnent comme prévu ! Voilà pour beaucoup de ceux qui ont défilé dimanche soir «à travers l'ensemble des villes du territoire national» comme on dit à l'ENTV qui a déjà diffusé quelques images de cette liesse sitôt le match terminé. Pour ceux qui sont au Brésil, ils auront une double raison de défiler dans les rues de Porto Allegre. D'abord, ce n'est tout de même pas tous les jours que l'Algérie gagne un match de Coupe du monde. Ensuite si, avec l'aide de Dieu - on en aura vraiment besoin face à la Russie - on se qualifie pour le deuxième tour, l'Etat, dans son infinie générosité, assurera la prise en charge de l'ensemble des supporters sur place jusqu'à la fin du parcours de la sélection nationale dans la compétition. L'Etat a déjà été assez généreux au départ d'Alger avec ses prix au rabais et ses 2500 euros de change, mais l'Etat ne compte pas dans ces moments-là. Voilà ce qui nous sépare de la Corée, si tant est que c'était évident de les battre, même sur le gazon. [email protected]