Le fantôme de Gijón a hanté le stade Beira Rio de Porto Alegre. La Manschaft l'a finalement emporté mais les Allemands ont encore tremblé devant les Algériens. Retour sur une nuit magique qui fera date. Porto Alegre. 30 juin 2014. Trente-deux ans après, l'heure de la revanche a sonné pour les triples champions du monde. Depuis ce même mois de juin de l'année 1982, ils n'ont jamais digéré la defaite qui leur a été infligé par les Belloumi, Madjer et autres Assad. C'est l'occasion rêvée de rendre à ces Algériens la pièce de leur monnaie. Sur l'Avenida Padre Cacique, une des grandes artères qui conduisent au Beira-Rio, un groupe de supporters de la Manschaft chambre deux fans algériens qui passent tout près, drapeau national autour du cou et peinture vert-blanc-rouge sur le visage. «Germany 4 Algeria 0», leur lance-t-il. Impassibles, les deux inconditionnels des Verts esquissent un sourire malicieux avant de lâcher : «Nous allons vous faire pleurer comme en 1982.» Pour ces retrouvailles entre Allemands et Algériens, le ton était déjà donné. Dans l'enceinte du club brésilien, le Sport Club Internacional, les fans algériens ne donnent pas l'impression d'être moins nombreux que lors des trois premiers matches du Mondial. Pourtant, des centaines d'entre eux avaient bel et bien regagné le pays principalement en raison du Ramadhan. Qu'importe, du moment que la bande à Halilhodzic peut compter sur le soutien indéfectible de la majorité écrasante des Brésiliens présents au stade. En vérité, la qualification historique de l'EN au deuxième tour de la compétition lui a valu un large élan de sympathie à travers tout le pays de la samba. «One, two, three, viva l'Algérie !» entendait-on monter de toutes les tribunes. Evidemment, l'engouement des Brésiliens pour les Verts n'est pas tout à fait innocent. «C'est normal que les Brésiliens soutiennent l'Algérie, ils aimeraient bien voir l'Allemagne se faire éliminer dès ce soir afin de pouvoir se débarrasser d'un des favoris en puissance pour le sacre final», fait remarquer d'emblée un supporter allemand. Sans doute affaibli par le jeûne, le public algérien n'est pas aussi bouillant que d'habitude. Mais l'apparition de son équipe sur le terrain va faire monter l'adrénaline. Encore une fois, il va chanter l'hymne national avec beaucoup d'émotion, tout comme ses joueurs. L'état d'esprit des coéquipiers de Sofiane Feghouli est a priori impeccable. Les Fennecs n'ont pas peur du rouleau compresseur allemand Ça se voit dès les premiers instants de la rencontre durant laquelle les protégés de Joachim Low n'arrivent pas à avoir la maîtrise du jeu. Les supporters algériens ont l'eau à la bouche. «On m'a proposé 600 euros pour mon billet mais je n'ai pas voulu le vendre, car, pour tout l'or du monde, je ne raterai pas ce rendez-vous historique», nous glisse Halim de Annaba, convaincu de voir une grande équipe algérienne donner la réplique à son homologue allemande. Avant le coup d'envoi du match un petit incident est signalé dans les tribunes. Louisa, la fameuse Algérienne qui a envahi le terrain lors d'un certain France-Algérie, au stade de France en 2001, est traquée par un agent du comité organisationnel de la Coupe du monde 2014. On ne comprend pas ce qui est réellement arrivé, mais cela semble sérieux. D'ailleurs, des militaires brésiliens vont carrément monter en tribune pour déloger l'ex-joueuse de l'Olympique Lyonnais, ce qui a failli mettre le feu aux poudres puisque des supporters algériens ont tenté de les empêcher. Fort heureusement les quelques agents algériens de sécurité ont escorté les supporteurs et réussi à calmer les esprits. Finalement, Louiza est relâchée quelques minutes plus tard après avoir été entendue par la police locale. Le match peut alors commencer. La première alerte est algérienne. Lancé sur le dos de la défense allemande, Slimani est tout près d'ouvrir le score si Neuer n'avait pas quitté sa cage pour dégager in extrémis la balle en touche. C'est justement suffisant pour faire douter les Allemands qui n'arrivent pas à imposer leur jeu dans ce début de match. La deuxième grosse occasion du match est encore algérienne. Feghouli, dans ses œuvres, rate le cadre. Le stade s'enflamme. L'intention de Halilhodzic est claire : presser les Allemands dans leur propre moitié du terrain pour couper les transmissions entre le milieu et l'attaque. Encore une fois, les supporteurs algériens sont séduits pas le dispositif tactique prôné par le Bosnien. «Vahid a retenu la leçon du premier match face à la Belgique. Il a compris que la meilleure façon de défense contre les grandes équipes c'est d'attaquer pour les contenir dans leur camp», analyse Halim d'Alger. L'audace de nos capés aurait pu payer si Slimani, qui a fusillé Neuer d'un magnifique heading, n'était pas signalé hors jeu. Dans les tribunes, on conteste la décision de l'arbitre. On attend de revoir la répétition sur l'écran géant, mais on ne verra rien. «Islam était certainement en position, sinon le réalisateur aurait insisté sur le ralenti», note Badis de Constantine. Plus les minutes passent, plus les Verts prennent conscience en leurs capacités de rivaliser avec leur adversaire. Ghoulam se permet même le luxe de tenter une incursion au sein de la défense allemande mais sa frappe est mal cadrée. «On va finir par regretter tous ces ratages», se plaint Yacine de Tiaret. Côté allemand, on ne comprend pas ce qui arrive à la Nationalmannschaft. Il faut attendre les dix dernières minutes de la première mi-temps pour assister aux premières occasions allemandes. Mais ni Ozil ni Kroos ou même Goetze n'arrivent à inquiéter sérieusement Mbolhi. Entretemps, les supporteurs algériens rompent leur jeûne. «Allah Akbar ! Allah Akbar !»,crient-ils des tribunes comme pour annoncer El Adhan. Rompre le jeûne va se faire soit avec du popcorn, soit avec des gâteaux, car les stadiers avaient saisi toute nourriture qu'avaient tenté de faire entrer les supporters algériens. «Ce n'est pas autorisé par la FIFA», leur explique-t-on. L'arbitre siffle la mi-temps avec un score vierge. «C'est déjà un petit exploit d'accrocher les Allemands pendant les 45 premières minutes du match, mais le plus dur reste à venir», nous déclare Hacen, un mordu des Verts, au bout de l'émotion. Une frappe déviée de Schuerrle, au début de la seconde période, jette un froid dans les tribunes occupées par les fans des Verts. Mbolhi sort le grand jeu sur une frappe terrible de Philipp Lahm. «Je pense que la machine allemande s'est mise en branle», craint Djamel de Chlef. Ce n'en fut rien, puisque, en dépit des assauts répétés des hommes de Low, le gardien algérien veille au grain. Les minutes passent encore et les Verts ont quelques balles de match au bout des pieds. Malheureusement, L'inexpérience de Soudani et Slimani Mais la prestation héroïque des joueurs algériens leur vaut le soutien total du public brésilien. «Algeria !», «Algeria !», continue-t-on de crier. Les Allemands sont étourdis. Ils ne savent pas sur quel pied danser. On joue les dernières minutes du temps réglementaire. Les Européens baissent carrément le rythme. « On dirait que l'Allemagne a peur de prendre du risque. Elle préfère aller aux prolongations», enchaîne encore Djamel. C'est fini, l'arbitre siffle la fin du temps réglementaire. Le stade s'enflamme encore l'Algérie est vainqueur pour le moment aux points. Les supporteurs algériens sont comblés de bonheur. A en croire que les coéquipiers de Lacen sont aux quarts. «C'est normal, on pensait prendre une raclée face au favori du mondial et là, on le tient en échec après 90 minutes», dira Halim. Mais la joie des Algériens sera de courte durée. En voulant tenter un grand pont sur un joueur allemand, Mandi perd le ballon et expose ses coéquipiers à un contre meurtri conclu par ce diable de Schuerrle (92'). Les supporteurs algériens sont dégoûtés, tout comme les Brésiliens. «A force de rater des buts tout fait on a fini par encaisser», se lamente-t-on. les Fennecs sont très fatigués. Ils vont laisser certes des forces dans ces prolongations, mais ils ne baissent pas pour autant les bras. Mehdi Mustapha est à deux doigts de rétablir la marque, mais sa frappe passe juste à coté des buts de Neuer. On s'arrache les cheveux dans les gradins. On joue les dernières minutes de la partie, le public allemand tremble. Il croit pousser un ouf de soulagement quand Ozil ajoute un second but, toujours en situation de contre (120'). Mais il va vite retenir son souffle une minute plus tard quand Djabou réduit la marque sur un centre parfait de Feghouli. Bougherra va même manquer à la toute dernière seconde une occasion en or pour arracher une égalisation incroyable. Mais sa tête est un peu molle. L'arbitre va finalement mettre fin aux débats. L'Algérie est éliminée, mais elle a tenu la dragée haute au grand favori du tournoi. Les Brésiliens sont sous le charme de cette belle équipe d'Algérie. Ils vont lui offrir un standing ovation historique. Feghouli éclatent en sanglots. Des dizaines de supporteurs aussi. Ils pensent avoir laissé filer une occasion de terrasser une nouvelle fois l'ogre allemand. «Nous sommes fiers de notre équipe. Nous quittons le tournoi la tête haute. Jamais une équipe n'a réussi à faire trembler l'Allemagne comme l'a fait ce soir l'Algérie», déclare fièrement Kamel de Blida. Après avoir applaudi longuement ses héros, le public algérien se disperse sans faire trop de bruit. Les supporteurs allemands viennent serrer la main et taper sur l'épaule des Algériens. «Sorry», «Sorry», disent-ils. A l'extérieur du stade, un fan de la Manschaft vêtu du maillot de Ozil accoste un groupe d'Algériens pour les consoler : «Vous nous avez foutu la trouille. Vous avez une très belle équipe. Félicitations pour votre grandiose prestation.» Pour les Algériens, c'était vraiment trop beau pour être vrai…
