L'auteure Najia Abeer a commencé tard à publier ses romans, mais comme un signe prémonitoire, elle s'était pressée de vivre et surtout de publier ses trois ouvrages, l'un après l'autre, presque sans intermittence. Dans ses œuvres, elle nous plonge dans son passé vertigineux pour évoquer sa ville natale, Constantine, qui l'a bercée, mais aussi malmenée à force d'amour qu'elle lui porte. Mais au fil des temps, on s'aperçoit qu'on ne garde que les bons souvenirs de son enfance. Il s'agit là d'un roman qu'elle a publié aux éditions Barzakh et qui porte le titre : Constantine et les moineaux de la murette. Dans ce récit, Najia Abeer invite le lecteur à un voyage à travers cette ville bâtie sur un rocher, agrémentée de ses ponts suspendus, ses ruelles tortueuses, ses souks aux odeurs pimentées et ses murs dont chaque pierre garde un secret, une histoire lointaine. Et à force de détours, on se perd dans les dédales de cette ville bruyante. Dans ce voyage, l'auteure entend des voix qui lui parviennent de partout : «Je voudrais crier mes liens avec ces murs, ces pavés, mais ma voix éteinte fond et coule dans ma gorge.» La narratrice poursuit sa quête qui la mène sur le chemin de l'école qu'elle a fréquentée, avec cette âme innocente d'une indigène humiliée dans son propre pays. «La rue était notre espace, un lieu qui nous apprenait la vie dans toutes ses libertés» Mais les jeux sont là pour lui faire oublier toutes les tracasseries de la vie d'une enfant encore insouciante. Nostalgie d'une ville qu'on perd, qu'on retrouve avec ses odeurs de f'tour, son architecture et ses traditions. «La rue était notre espace, un lieu qui nous apprenait la vie dans toutes ses libertés.» Dans un style simple, l'auteure s'attarde dans la description des lieux, des sensations et des odeurs qui se dégagent des ruelles et des souikette. «J'arpente cette rue d'un pas faussement décidé et d'un air curieux, comme ce touriste en quête d'une histoire étonnante à raconter à ceux qui sont restés.» Ce livre prend parfois une dimension documentaire tout en gardant son aspect autobiographique. A travers ce récit, Najia Abeer nous fait revivre des moments pleins de douceur et d'harmonie entre les êtres. Ce roman est son premier ouvrage. Rétrospective, machine à remonter le temps, Constantine et les moineaux de la murette est un livre qui nous tient en haleine : la mémoire toujours présente comme ce «cri déchirant d'un être arraché d'un autre être dans un vagissement plaintif». Dans son deuxième roman, l'Albatros, paru aux éditions Marsa, elle relate l'histoire de deux femmes qui se battent chacune à sa manière pour l'existence. Elle régnera ici le temps de l'écriture avec des arrêts sur images, de souvenirs d'amies présentes ou déjà envolées, une petite ville non loin d'Alger avec son air marin, ses hommes de la terre et de la mer, ses sites historiques et ses résidences secondaires qui retrouvent leurs propriétaires chaque été. Dans son ouvrage, Najia Abeer met en avant ces femmes combattantes, révoltées ou tout simplement des femmes qui ont eu le courage et la volonté de briser certains tabous. Comme son amie Bariza qui a choisi le métier de pêcheur pour nourrir ses enfants. Cette «albatros» qui brave vents et vagues, les misogynes ont mis du temps pour l'accepter, d'autant plus qu'elle était belle et portait des bottes en caoutchouc. Il s'agit donc d'un fragment d'histoire de cette femme qui a «péché» en osant pratiquer un métier réservé jusque-là au sexe masculin. Ici, l'auteure décrit ce monde cruel où se mêlent la peine et le tragique Il y a aussi Chérifa qui s'adonnait à n'importe quel travail pour nourrir ses huit enfants et son mari atteint d'une maladie chronique. Les personnages ont vingt ans, trente ans ou plus, alors on vieillit, on fuit, on abdique ou on pleure dans ce monde sauvage. Najia Abeer développe l'éternel mal du siècle et joue avec habilité de son talent. «Pendant plusieurs années consécutives, elle avait subi des incidents étranges qui survenaient à la même période de l'année. Le feu avait emporté l'un de ses enfants et, l'année suivante, il avait détruit son atelier.» Ici, l'auteure décrit ce monde cruel où se mêlent la peine et le tragique comme des données irrécusables. Elles sont associées à une sorte de puissance fabuleuse où se jouent l'humour et l'admiration. Puis, de fil en aiguille, l'auteur présente cette femme couturière, qui se bat elle aussi contre l'injustice, la marginalisation. Le roman raconte la condition de la femme en Algérie avec des personnages qui luttent contre la dépression et la mort, mais qui ont aussi des coups de folie et des coups de cœur. Najia Abeer (patronyme Benzegouta) est née à Constantine en 1948 et décédée le 21 octobre 2005. Après des études universitaires aux Etats-Unis, elle a enseigné au Moyen-Orient et en Algérie. Elle est spécialisée en littérature américaine. Comme on dit, «la littérature prolonge la vie, l'éclaire, la sauve» et l'écriture pour Najia Abeer était avant tout une évasion. Dans ses livres écrits dans un style fluide, elle décrit par sa vive imagerie des événements, des êtres et des objets, dans ce monde terrible et merveilleux où l'homme ne connaît pas de limites.