Le scrutin du 9 avril s'annonce déjà comme un tournant majeur dans l'histoire contemporaine du pays. L'entrain inédit qu'a connu la campagne électorale, le taux de participation record, et le contrat de confiance accordé par le peuple au président Bouteflika par le biais du suffrage universel constituent un faisceau d'indicateurs sur une évolution sensible de la société algérienne. Il appartiendra un jour à l'histoire, la grande, de consigner les pages qui s'écrivent en direct-live aujourd'hui, mais l'historien de l'instantané, le journaliste, peut saisir les frémissements d'une société qui se libère des canaux traditionnels et des modes conventionnels qu'on lui connaissait. L'Algérie de ce début bien entamé du millénaire n'est plus celle qui était appréhendée sous le prisme de grilles de lecture qui ont fait leur temps. Certes, les sociologues et politologues seront en mesure de mesurer scientifiquement le frémissement qui deviendra demain une tendance lourde, mais le scrutin du 9 avril révèle déjà que la société algérienne s'est affranchie de césures et de fragmentations enfantées par des dérives nées de l'accouchement douloureux de la rupture d'avec le parti unique et du basculement dans l'aventurisme d'une ouverture démocratique décrétée. L'on sait aujourd'hui le lourd tribut versé à cette politique hasardeuse. Cela a eu pour nom terrorisme, instrumentation de la religion, et politique de chapelle qui ont saucissonné le peuple algérien en catégories, comme on le ferait avec un vulgaire produit de consommation courante... Cette segmentation a alimenté les différences, cultivé le sectarisme et forcé sur le trait du particularisme. La notion de démocrates a fait l'objet d'une OPA sans recours, la référence à la religion résonnait comme un label d'écurie de course, l'attachement à certaines valeurs devenait synonyme d'archaïsme. C'est dans ce contexte pour le moins délétère que l'Algérie a «évolué», avec une société corsetée jusqu'à l'étouffement. Il est aisé de comprendre, à travers ce tableau, l'ampleur de la tâche qui attendait le président Bouteflika. En dix ans, dans un contexte marqué par une forte adversité, il a su élaborer un nouveau contrat social. La politique de réconciliation nationale, les réformes pluridisciplinaires ne signifient pas autre chose. Ce contrat social, accompagné d'un programme de redressement économique unique dans les annales nationales, et même internationales, puisque en termes réels il dépasse de loin le plan Marshall pour la reconstruction de l'Europe ; cette politique donc a transfiguré le pays. Et ce sont ces changements épistémologiques qui ont conduit à la mutation profonde de la société, qui a donné à Bouteflika cette dimension d'acteur politique et social central. La société d'aujourd'hui est le fruit des changements de fond qu'il a initiés, et c'est cette société qui le conforte, à travers le suffrage universel, dans son rôle d'architecte. C'est en cela que réside l'effet rouleau compresseur de Bouteflika, et c'est cela qui explique la marginalisation de certains de ses contradicteurs, qui ne surfent plus sur des clichés éculés, sur les discours d'exclusion, sur les grilles de formatage, sur le fonds de commerce de la catégorisation des uns contre les autres. C'est le changement d'identité de la société qui a conduit au plébiscite de l'homme d'Etat, c'est le changement de société qui a signé la vacuité de ceux qui, en avouant s'être trompés de société, n'avaient peut-être pas vraiment tort, sans avoir la lucidité de le comprendre.