Pourquoi beaucoup de ceux qui ont exprimé leur solidarité à l'écrivain-journaliste Kamel Daoud et condamné le prêche de Hamadache appelant à sa mort se sont cru obligés de «préciser» qu'ils ne sont, parfois, souvent ou jamais d'accord avec les idées du chroniqueur oranais ? Question lancinante, dont on ne peut pas faire l'économie pour plusieurs raisons. Mais d'abord celle-là : au-delà de l'horreur qu'inspire un appel au meurtre d'un créateur d'idées et d'œuvre littéraire qui plus est, est suggéré par un intégriste à… l'Etat de son pays, le fait – à quelque chose malheur est bon – a le mérite d'imposer ce débat-là. Et qui pourrait peut-être être introduit par une autre question : que peut bien dire Kamel Daoud qui puisse justifier qu'on lui dresse l'échafaud pour le pendre haut et court. Cela, on le sait, à la suite du prêche de l'illuminé Hamadache. La question est de savoir ce qu'il dit, qui puisse obliger ceux qui lui ont manifesté leur solidarité de vendre en concomitance leurs «différences» avec un écrivain qui vient de faire l'objet d'un appel d'offres public à «contrat». En l'occurrence, c'est plus une question de fond que d'opportunité ou de «timing». Dans l'affaire, on est plus proche du préoccupant «quoi» que du lassant «pourquoi maintenant». Parce que dans la brochette d'indignés, on retrouve plus de monde censé partager l'essentiel avec Kamel Daoud, quand ils ne sont pas censés partager tout. Et quand on partage l'essentiel, il convient de commencer par le dire au lieu de chercher à prendre ses distances dans de sombres, quand elles ne sont pas fallacieuses, considérations, comme celles qui se rapportent à son «style», son penchant immodéré pour la provocation ou sa supposée quête effrénée de notoriété. Commencer par le dire dans ce qu'il y a de plus terre à terre : Kamel Daoud est un journaliste et un écrivain à l'immense talent qui a un regard sans complaisance sur son pays et sur le monde et des rêves que tous ses compatriotes, en dehors de ceux qui veulent le voir au bout d'une corde ou avec un trou de balle dans le front, devraient partager. Le reste est puérile, maintenant, demain, après-demain et toujours. Il faut d'autant plus le dire que le temps incite à se mettre sous la même couverture pour avoir moins froid qu'à ergoter sur la couleur de la taie d'oreiller. Qu'on se le dise, il faut vraiment les chercher ceux qui n'ont pas grand-chose à partager avec Kamel Daoud et qui lui auraient exprimé la moindre sympathie, en en faisant une question de principe. Il s'est même trouvé quelques apocryphes qui n'ont vu dans l'appel à sa condamnation à mort qu'une opportunité revancharde sur son talent et son succès. Et ceux-là, ils l'ont exprimé sans état d'âme, sans se sentir obligés outre mesure de s'indigner sur l'incitation à sa mort. Bien sûr, tout le monde n'est pas Kamel Daoud. Mais d'abord, parce que n'est pas Kamel Daoud qui veut, en raison de son talent et de son courage. Sinon, quand il a écrit «pourquoi je ne suis pas» solidaire «de la Palestine», on n'aurait pas si obstinément fermé les yeux sur les guillemets qu'il avait mises à «solidaire». Et sur le fond de sa pensée, d'ailleurs, pourtant bien explicitée, dans le texte. C'est pour cela, entre autres, que nous devons être solidaires avec lui. Sans guillemets.