Entretien avec le professeur Salim Nafti, chef du service des maladies respiratoires au CHU Mustapha Pacha et président de la Société algérienne de pneumologie. Pouvez-vous nous dresser un historique de cette maladie crainte de tous ? La tuberculose est une maladie contagieuse due à un bacille, le bacille de Koch, qui se transmet par voie aérienne. C'est-à-dire une transmission interhumaine. Elle est provoquée par une mycobactérie du complexe tuberculosis correspondant à différents germes. C'est une maladie connue depuis l'antiquité. La présence du bacille dans des momies fait remonter son existence au temps des pharaons. Preuve que cette maladie est millénaire. Il y a moins d'un siècle, en 1945, on a trouvé le premier traitement efficace contre la tuberculose. D'autres découvertes ont été faites, dont la dernière remonte à 1962. Depuis, aucun autre médicament anti-tuberculeux n'a été découvert. C'est pour vous dire que la science est en panne concernant cette maladie. Durant toute cette période, la tuberculose a heureusement connu une diminution. Elle a presque disparu dans les pays développés. Aujourd'hui, par contre, elle connaît un regain avec l'apparition du VIH (sida). La composition VIH- tuberculose est très fréquente. C'est un problème de co-infection, vu que le VIH diminue l'immunité. Et cette maladie trouve un terrain propice auprès des tuberculeux qui connaissent une baisse du taux d'immunité, soit une immunité diminuée. Quelles sont les personnes prédisposées à la contamination ? On peut avoir la tuberculose en côtoyant un tuberculeux sachant que c'est une maladie contagieuse. Il y a risque de contamination par les bacilles. Il faut savoir que ce n'est pas tout le monde qui peut être sujet à la contamination. Celui qui a un système immunitaire fort n'est pas mis en danger. Par contre une personne fragilisée par une malnutrition ou tout simplement à cause d'une autre maladie peut être facilement contaminée. La tuberculose s'installe chez les sujets prédisposés. Dans la société, il y a environ 20% de personnes dans ce cas. Il suffit que ces dernières côtoient un tuberculeux, dans le milieu du travail ou familial, ou encore dans le transport public pendant une longue durée pour que le mal soit fait. Venons-en à la tuberculose en Algérie... La tuberculose n'existait pas en Algérie avant 1830, c'est-à-dire avant la colonisation française. En arrivant en Algérie, les Français avaient constaté que la population locale n'était pas touchée par cette maladie. Les raisons sont simples : l'Algérie est un vaste pays ensoleillé et le bacille de Koch (BK) ne se développe pas dans ces conditions. D'où la décision des colons français de faire venir tous les tuberculeux de France en Algérie. A l'époque, il n'y avait pas de traitement. C'est ainsi que des sanatoriums ont été créés pour permettre aux tuberculeux de se reposer au soleil. Ces derniers étaient exposés durant de longues journées au soleil avec un bon régime nutritionnel pour reprendre des forces. Chaque fois qu'ils crachaient, les BK étaient détruits par les rayons ou par la lumière, mais le taux de survie à cette maladie était presque inexistant. Avec l'introduction de ces malades, la maladie s'est vite propagée parmi la population locale. Peut-on espérer un jour l'éradication de cette maladie ? A l'inverse du choléra ou la peste par exemple, la tuberculose se propage très vite. Le BK est un germe très particulier qui se cache dans l'organisme humain. Il faut savoir que nous portons tous en nous des BK dormants. Il suffit qu'une personne se retrouve affaiblie ou malade, une grippe sévère, et le mal se développe. Dans un pays comme l'Algérie, où il existe une forte prévalence, la tuberculose existe en permanence, à l'état de base. Les BK se développent d'une manière très lente ce qui explique que son traitement est tout aussi long. Il s'étalait sur 24 mois dans les années passées. Avec les améliorations du traitement, la durée a été revue à la baisse pour atteindre un an. Actuellement, il est d'une durée de 6 mois. Une période qui reste toujours longue, au bout de laquelle, hélas, on ne guérit pas toujours à 100% les malades. Ceux qui suivent correctement leur traitement guérissent très bien. Mais ceux qui l'interrompent dès qu'une amélioration est ressentie peuvent rechuter. Dans ces cas-là, un deuxième traitement, voire un troisième leur est prescrit. Il y a lieu de préciser que ce ne sont pas tous les malades qui répondent favorablement au traitement. Les échecs sont de l'ordre de 5 à 10% par an. Ce qui s'explique le fait que le germe ne répond pas à tous les médicaments. Il y a résistance. Voilà la raison pour laquelle nous n'arriverons pas à éradiquer la tuberculose. La cause est liée à toutes ces spécificités. Le BK se transmet d'homme à homme. Il se développe lentement et peut rester des mois, voire des années inactif et le traitement peut ne pas stériliser tous les malades. Parmi les 85% des tuberculeux guéris, 10 à 15% continuent à cracher. Ce qui garantit la pérennité de la maladie. Pour une guérison certaine, le traitement doit être renforcé par une amélioration des conditions socio-économiques des personnes atteintes. Il faut améliorer l'alimentation, leurs conditions d'habitation, les conditions d'hygiène et surtout éviter le contact avec les malades. Il faut impérativement que les personnes affectées aillent consulter pour être prises en charge à temps et éviter de contaminer leur entourage. Pourquoi le malade n'est pas hospitalisé puisque la maladie est contagieuse ? C'est très simple. A partir du jour où le tuberculeux commence à prendre son traitement, la contagion diminue d'une façon brutale. Même s'il crache, il rejette des bacilles morts et inoffensifs. Parallèlement, nous faisons des analyses sur toutes les personnes proches de lui pour voir si elles ne sont pas contaminées. C'est le dépistage passif. Le malade peut rentrer chez lui. Il lui est néanmoins recommandé de rester à l'écart, pendant les premiers jours de son traitement. A l'inverse de nombreux pays, la prise en charge des tuberculeux relève-t-elle d'un programme national de lutte ? En effet, depuis 1964 l'Etat algérien a mis en place un programme national de lutte contre la tuberculose. Deux années après, le gouvernement a décidé que le diagnostic, le traitement, la prise en charge et la prévention seraient gratuits. Ce qui a permis une avancée considérable dans la prise en charge de ces malades, nombreux à cette époque. En 1962, nous comptions 120 cas sur 10 000 habitants. Un chiffre qui est passé à 45 cas pour 10 000 habitants en 2008. Malheureusement, durant la décennie noire, les choses ont stagné, pour ne pas dire régressé. En effet, la stratégie a été désorganisée. Un plan de relance a été initié par la tutelle en l'an 2000 qui est toujours en action. Il s'agissait de réorganiser les structures, perfectionner le personnel existant, renforcer les moyens, assurer la disponibilité des médicaments en garantissant des stocks pour éviter les pénuries. Actuellement, nous pouvons dire qu'il y a une bonne prise en charge à l'échelle nationale, à l'exception de l'ouest du pays, où des failles dans l'encadrement médical sont encore enregistrées. Actuellement, un comité d'experts travaille sur la révision du dernier manuel de la tuberculose qui date de 2007, pour y introduire de nouvelles données. Avant, les tuberculeux étaient traités dans les dispensaires antituberculeux (DAT), des structures sanitaires et des polycliniques. Aujourd'hui, la tuberculose, mais également les maladies respiratoires, relèvent d'une même structure, c'est l'unité de contrôle de la tuberculose et des maladies respiratoires. Enregistrez-vous des cas de décès ? Actuellement le nombre de décès avoisine les 200 par an. Toutefois, ils ne sont pas liés à la tuberculose classique. La tuberculose tue quand elle prend une forme méningée. Elle est alors mortelle, spécialement chez les enfants non vaccinés à temps. C'est pour cela que les vaccins BCG doivent être faits à la naissance. En bref, on ne meurt pas de la tuberculose mais de ses complications. C'est l'une des maladies qui tue le moins, en ce moment. On demande aux gens de consulter au plus vite, dès l'apparition des premiers symptômes. Il est dit qu'il y a peu de pénuries de traitement, qu'en est-il ? Les ruptures sont rares, mais ça reste un problème épineux dans le dossier de la tuberculose. La plus importante date de 1990 et a duré 3 mois. Depuis, nous faisons des prévisions suivant le nombre de malades enregistrés au niveau de chaque centre de dépistage, en s'appuyant sur le bilan effectué quotidiennement. Nous comptons actuellement 185 centres de dépistage de tuberculose qui fonctionnent de façon permanente. Concernant le traitement, je tiens à préciser qu'auparavant il était constitué d'injections et de quatre comprimés à prendre. Ce qui compliquait la prise administrée par les souffrants qui risquaient d'oublier un des comprimés prescrits. Aujourd'hui, tout cela a été remplacé par un seul comprimé, le RHZE. Recourez-vous à des campagnes de sensibilisation ? Il faut que l'éducation sanitaire se fasse d'une façon régulière. Pas seulement pour cette maladie, mais pour toutes les autres. Il faut consulter le médecin dès les premiers symptômes. Il faut éliminer une maladiemédicalement et non pas en utilisant les recettes de grand-mère. Nous menons des campagnes de sensibilisation dans les écoles et dans les mosquées pour expliquer les risques de contamination. Nous avons réalisé des affiches, des dépliants pour expliquer ce qu'il faut faire en cas de contamination. Dans les années 1970, le comité national contre la tuberculose avait lancé une belle initiative, en remettant des timbres aux écoliers qu'ils revendaient. L'argent collecté a servi pour acheter des microscopes, aménager les centres de dépistage, à offrir des primes aux microscopistes pour les encourager dans leur métier, faire des dépliants d'éducation sanitaire. Cette action a permis de sensibiliser les enfants dans le milieu scolaire. Il ne faut pas compter uniquement sur le médecin, la lutte antituberculose implique la mobilisation de tous les citoyens.