Pour Karim Khaled, sociologue au Cread d'Alger, même si l'ONU peut être un appui légitime et équitable pour des organisations, elle est cependant une organisation qui a fait son temps. Le Temps : Les discriminations et particulièrement le racisme ont toujours marqué l'histoire de l'humanité, véhiculés par le rejet de l'autre, du différent ; ce caractère ou mécanisme fait-il partie de la nature humaine ? Karim Khaled : Parler de la nature ou plutôt du processus naturel des faits humains, c'est, du point de vue sociologique, renforcer les logiques des ordres dominés d'une manière inconsciente, c'est-à-dire reproduire des situations de domination sans être conscient de cette domination. Le racisme est un fait humain construit socialement et non génétique. Il renvoie à des logiques politiques au sens de domination avec toutes ses formes physique (la force) ou symbolique (psychologique). Le racisme avec toutes ses formes est une construction historique, bourrée de fantasmes et d'imaginaire, le fantasme de la domination au nom de la couleur n'est qu'une partie de l'iceberg, or le gène de la couleur est superficiel ; ce qui est structurellement génétique au sens sociologique, c'est les conditions sociales objectives des êtres humains, des groups sociaux, qui créent des racismes avec toutes ses formes. La peur et la méconnaissance de l'autre renvoient à des pratiques de rejet. Les racismes, les rejets sont des stigmates socialement construits. Ils sont des symptômes des crises des sociétés modernes, c'est-à-dire une idéologie des dominants, basée sur le fantasme de la supériorité, qui est structurelle dans la majorité des cas. C'est le cas des idéologies colonialistes du XIXe et du XXe siècles, en Afrique, en Amérique latine, aux USA - le cas des Afro-Américains - sans oublier le Maghreb, notamment le cas de l'Algérie, qui a vécu un racisme très violent et surtout symbolique (supériorité du Français sur l'Algérien arabe). Ce sont des fantasmes qui ont alimenté l'imaginaire social des sociétés (supériorité du Blanc sur d'autres «races» !). L'Algérie n'a pas échappé à cette ségrégation puisqu'elle vit toujours les conséquences de ce racisme violent et symbolique, construit et alimenté par l'entreprise coloniale pendant 132 ans. Donc parler du racisme ou plutôt des racismes, c'est parler des idéologies négationnistes, sectaires, qui cachent des mécanismes de maintien de l'ordre dominant avec toutes ses formes ; du simple rapport interpersonnel au rapport discriminatoire entre des groupes sociaux ou entres diverses entités politiques de la société, au niveau local, régional ou international. Sachant que l'homme fait partie du bios qui pour se maintenir a besoin d'enrichir son patrimoine génétique, peut-on déduire que c'est un mécanisme acquis plutôt qu'inné ? Ce qu'il faut savoir, ce qui est génétique est inné, mais vouloir enrichir son patrimoine génétique est le produit des sociétés modernes basées sur la consommation mais surtout le maintien de l'ordre social des groupes sociaux dominants. Qui revendiquent actuellement le clonage et la chirurgie esthétique ? Et toutes les pratiques qui peuvent assurer l'éternité des gens, à défaut de cet enrichissement et développement de gènes, les êtres humains trouvent un substitut, qui est la descendance par le sexe mal ; ça aussi, c'est une construction sociale… C'est-à-dire si la nature forme, la société transforme et crée ses propres valeurs. Quel rôle ont les civilisations et par ricochet les religions dans ce comportement ? Oui, la religion, comme système de valeurs, peut jouer, loin de toute forme d'instrumentalisation, un rôle très important si les institutions régulatrices de la sociétés, notamment l'école et les mass media, jouent un rôle d'inter- culturalité. On ne peut pas malheureusement changer le cours de l'histoire, mais c'est possible avec avec la volonté politique des systèmes politiques, en commençant par la résolution du problème de la Palestine, et cultiver la culture de la paix sur un principe de dialogisme, comme disait Edgar Morin. Et la misère ? La misère est un forme de discrimination sociale vécue comme violence symbolique, c'est-à-dire des sentiments d'injustice alimentant par la suite toutes les formes de déviance mettant en cause la cohésion sociale et la sécurité des sociétés. En tant que dépositaire du droit international quelle marge de manœuvre a l'ONU pour lutter contre ce fléau ? L'ONU peut être un appui légitime et équitable pour des organisations et associations, c'est-à-dire de la société civile, pour trouver par et pour elles-mêmes des solutions à leurs propres problèmes, notamment la misère, l'environnement, la ségrégations et les racismes… Aujourd'hui, (évolution oblige !) une autre forme de ségrégation mine les rapports entre le Nord et le Sud, en l'occurrence la libre circulation des personnes qui est un problème qui bien qu'il fasse partie du débat public tout le monde sait que ce choix est aussi un acquis universel ; comment expliquez-vous le silence ou l'inertie à ce jour de l'ONU ? La libre circulation ou forcée des gens est un fait structurant et structuré. La circulation des gens est un phénomène moderne, devenu un enjeu géostratégique entre les nations. Elle renforce davantage l'équation du maintien de la domination des puissances économiques et militaires sur les pays anciennement colonisés, c'est-à-dire la nature, et des mobilités des individus, notamment celle des compétences, est une nouvelle forme de racisme d'Etat ou des Etats, notamment du Nord, puisque la circulation des individus obéit à une forme d'éthnisation de la citoyenneté et une ségrégation symbolique (politique des quotas, accès, déclassements professionnels des étrangers, stigmates…). La circulation du capital humain est l'enjeu actuel des sociétés. Il (capital humain) est la source de toutes les richesses, donc une source de toutes les compétitions des sociétés, conscientes de cet enjeu. Autre fait notable si vous le permettez, quand on sait que ce ne sont pas tous les Etats du monde qui sont membres de l'ONU quel impact a cette hypothèse sur les décisions prises par l'ONU sur ce chapitre ? L'ONU avec ses différentes organisations (Pnud, Unicef, Unesco, Organisation de l'immigration…) est juste un appareil de régulation qui fonctionne avec ses prérogatives et limites. Des limites créées par des puissants juste après la Seconde Guerre mondiale.