Melissa est née avec un handicap grave qui la prive de l'usage de ses membres inférieurs. Ses parents ont tout fait pour la guérir mais ils ont fini par se rendre à l'évidence : leur fille, à moins d'un miracle futur, vivra avec son mal jusqu'à la fin de ses jours. Melissa va à l'école tous les matins sur sa chaise roulante, poussée par sa mère qui l'élève seule, après son divorce. Melissa est belle, intelligente et affectueuse. Elle connaît le calvaire de sa mère, au point d'oublier souvent son propre malheur de ne pas être une enfant comme les autres pour songer à atténuer comme elle peut les souffrances de sa génitrice. Comme un malheur n'arrive jamais seul, l'école où est scolarisée Melissa, parce que c'est la plus proche de leur domicile, a toutes ses salles de classe à l'étage. Et les capacités de prise en charge de ces cas dans nos écoles étant ce qu'elles sont, la brave maman est contrainte aussi d'arracher sa petite deux fois par jour pour la porter dans ses bras jusqu'à sa classe. Puis la faire descendre à la fin des cours. Melissa ne connaît pas les récréations sauf quand une bonne âme lui propose de la faire descendre dans la cour et la remonter. Chose qu'elle refuse souvent parce qu'elle n'aime pas trop être une charge pour les autres. Depuis la dernière rentrée, ses petits copains de classe se sont concertés et ils ont décidé de s'occuper d'elle dès son arrivée dans la cour de l'école. Ça ne lui rend pas ses jambes, ça ne fait pas d'elle une fille comme les autres pour sa brave maman mais il y a des petits bonheurs qu'on ne boude pas. Loin de cette école de la capitale, dans un village de Haute Kabylie, Achour s'est réveillé avec une boule dans la gorge. Matinal comme un bon montagnard, il aurait aimé aujourd'hui que son sommeil se prolonge, juste pour voler une heure ou quelque temps à l'angoisse qui l'a pris depuis quelques jours. Achour a perdu son emploi depuis des mois et ses maigres économies se sont épuisées. Il n'y a plus grand-chose à manger à la maison, l'épicier du village commence à le regarder de travers en raison de son ardoise qui s'allonge et il n'est pas homme à pleurnicher auprès des autres pour demander de l'aide. Achour s'est levé sans trop savoir pour quoi faire et après une toilette expéditive, il sort de la maison sans savoir non plus où aller. Une heure après, il s'est retrouvé dans un café de la petite ville, chef-lieu de sa commune, après avoir emprunté, toujours sans savoir comment, un minibus. Son angoisse grandissait pendant que le café qu'il avait «oublié» sur la table, refroidissait. Perdu dans ses pensées, sans vraiment penser à quelque chose, il n'avait pas vu arriver l'homme qui venait de poser sa main sur son épaule pour attirer l'attention, son salut étant resté sans réponse. «Excusez-moi, vous êtes bien Achour ?». Ce dernier sursaute et regarde son interlocuteur en pensant que si c'est pour lui demander quelque chose, il est vraiment mal tombé. Il finit quand même par répondre : «Oui, je suis bien Achour, excusez-moi, je ne crois pas vous connaître.» Le bonhomme est bien mis, physiquement rayonnant et Achour reconnaît tout de suite en lui quelqu'un qui n'a pas de problèmes de fin de mois. Ce dernier demande poliment s'il pouvait s'asseoir et après avoir tiré une chaise, il s'installe face à lui en appelant le garçon. Il commande un café et lui propose de reprendre quelque chose, ce qu'Achour décline en le remerciant. Puis le bonhomme s'est mis à lui poser des questions sur ce qu'il est devenu «après toutes ces années». L'homme prolonge le suspense sur son identité jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que ça devenait un peu pénible pour Achour. Il lui rappelle alors qu'ils s'étaient connus il y a longtemps en travaillant ensemble à Oran dans une petite usine de textile. Alors, Achour lui dit qu'il se souvient effectivement de cet épisode de sa vie mais lui avoue qu'il ne se rappelle pas de lui, personnellement. Alors pour faire un peu court, l'homme sort une grosse liasse de gros billets de la poche de son veston et la lui mis entre les mains : «Un jour, je devais rentrer en urgence dans mon village parce que ma mère venait de décéder. Je n'avais pas un sou et vous m'avez généreusement dépanné. Je ne suis jamais revenu dans cette ville et je m'en suis toujours voulu de ne vous avoir pas remboursé» ! Sur ce, l'homme s'est levé, dépose une carte de visite sur la table et s'en va en disant à Achour : si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi. Avant de revenir de sa surprise, l'homme avait disparu. Achour, en homme digne, s'est promis de l'appeler rapidement pour lui demander s'il pouvait l'aider à trouver du travail. L'argent, il en avait besoin pour l'instant mais il a juré de le rembourser.