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La Casbah d'Alger otage de la bureaucratie
Alors que 9200 milliards sont consacrés à sa réhabilitation
Publié dans Le Temps d'Algérie le 01 - 03 - 2015

Le patrimoine culturel et immobilier qui fait sa spécificité doit être valorisé par une approche économique rassemblant devoir de sauvegarde de la mémoire des lieux et impératif d'adaptation au cours du temps qui signifient renouvellement urbain et réformation de l'image de marque de la cité.
Comment faire justement quand les modalités de mise en œuvre d'une telle action visant à réunir les conditions de réussite font face à des contraintes majeures liées essentiellement au problème juridique posé par les héritiers ? Où en est-on avec le plan du secteur sauvegardé, des opérations interminables de relogement, des travaux de restauration et des comités mis en place à cet effet ? Un des spécialistes du dossier au niveau de la wilaya d'Alger, Saïd Guellal, apporte ici des arguments de taille.
La Casbah d'Alger n'a, en réalité, jamais été absente des préoccupations des pouvoirs publics, même si les actions menées durant les années 1970 et 1980 restent timides dans la mesure où les moyens mis à cette époque étaient modestes à l'exception de la restauration du Bastion 23 en partenariat avec les Italiens. La classification de la vieille cité, d'abord comme patrimoine national en 1991 puis patrimoine mondial en 1992, allait aiguillonner les autorités pour sa prise en charge, mais l'intention fut stoppée net durant la décennie sanglante. L'avènement du gouvernorat du Grand Alger verra l'approbation de la loi 98/04 relative au patrimoine qui consacrera La Casbah en secteur sauvegardé et où la wilaya d'Alger allouera sur son propre budget 100 millions de dinars chaque année destinés à la restauration, rénovation et réhabilitation du périmètre arrêté au début à 70 ha avant d'atteindre actuellement 105 ha.
Les premières opérations ont concerné les palais et les mosquées dont on citera Dar Essof, Dar Mustapha Pacha, Dar El Hamra, Dar El Cadi, les mausolées de Sidi Abderrahmane, Ouali Dadda, Djamaâ El Kebir, Djamaâ Jedid ainsi que quelques fontaines (Aïn M'zaouka, Sidi M'hamed Cherif). Hormis la restauration du patrimoine historique, d'autres opérations ont été initiées dès 2004 tels l'évacuation de centaines de tonnes de gravats, le dégagement de la circulation automobile et des piétons des principaux accès à La Casbah, l'amélioration du cadre de vie à l'intérieur de la cité, l'amélioration de la collecte des ordures ménagères, l'installation d'une police d'urbanisme, etc.
En matière de relogement, plusieurs opérations ont été concrétisées et on peut dire dans ce cadre que La Casbah d'Alger a bénéficié de 10 000 logements, un chiffre suffisant pour couvrir toutes les demandes, sachant que le périmètre sauvegardé qui chevauche sur quatre communes (Casbah, Bab El Oued, Oued Koreiche et Alger-Centre) regroupe environ 52 000 habitants. Pourtant, les services de la wilaya enregistrent continuellement des demandes de logement accompagnées de mécontentements parfois violents lors de chaque relogement.
Une question sur laquelle on reviendra plus loin. Avant cela, il est utile de savoir que le plan de sauvegarde qui a été approuvé en 2012 est précédé d'un autre datant de 2006, inspiré lui-même des dispositions publiées en 2003. La gestion de ce plan est conférée par la loi au ministère de la Culture.
717 bâtisses sur un total de 1816 ont connu des mesures d'urgence, notamment l'étayement et la stabilisation des structures. Pour faire face à un plan dit d'attaque, l'Etat a alloué une enveloppe financière conséquente de 92 milliards de dinars dont une tranche a été débloquée en 2013. Côté wilaya, plusieurs actions ont été adoptées et en premier lieu l'installation par Abdelkader Zoukh d'un comité d'orientation et de suivi des travaux de restauration du secteur sauvegardé de La Casbah d'Alger qu'il préside lui-même. En plus des directions de la wilaya, ce comité englobe des représentants du ministère de tutelle, de La Casbah et des APC concernées.
Sauver 1816 bâtisses
Dans le cadre du plan de sauvegarde adopté par le gouvernement en 2012 conformément au décret exécutif n°12/133 du 21/03/2012, les services concernés ont recensé 1816 bâtisses à prendre en charge dont 30% sont en état de dégradation très avancé, 50% en état de dégradation moyen ou superficiel, 10% en ruines, 10% fermées ou murées. Les premières mesures réalisées par le ministère de la Culture ont été développées en deux phases et touché 717 maisons.
Les actions concrètes menées à ce jour par ce comité concernent d'abord l'évaluation domaniale de 57 bâtisses biens privés. Pourquoi cette évaluation en particulier ?
L'Agence du secteur sauvegardé (ANSS) a reçu des demandes de propriétaires ayant exprimé le souhait de vendre leurs biens à l'Etat ou de voir ce dernier prendre en charge l'étayement de leurs bâtisses.
Ce chiffre fait partie d'un total de 397 demandes déposées au niveau de cette agence dont 252 souhaitent la restauration de leurs biens, 51 veulent vendre, 84 désirent faire échange et 10 attendent la reconstruction de leurs bâtisses. Les autres actions concrètes ont trait au renforcement de l'effectif de la police d'urbanisme (Pupe), le recrutement d'îlotiers chargés de la surveillance et le suivi des constructions illicites et de squat, installation d'un comité dit réseaux (Sonelgaz, Seaal, Asrout, etc.) avec une équipe d'intervention pour chaque concessionnaire.
Un projet d'enfouissement des réseaux est actuellement à l'étude. Il faut savoir que tous les plans des concessionnaires ont été actualisés. De son côté, Algérie Télécom va installer un palmier pour améliorer la couverture du réseau de téléphonie mobile de la vieille cité. Pour sa part, la direction de l'hydraulique a finalisé les études avec des entreprises coréennes concernant la rénovation des trois collecteurs importants de La Casbah. Les études ont été transmises à la l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (OGEBC) pour prise en charge.
Un plan d'attaque en 5 phases
La stratégie globale d'intervention ou plan d'attaque qui découle du plan de sauvegarde, au niveau de la vieille cité, se fait en cinq phases. En premier lieu, les actions préliminaires simultanées sur le terrain avec la mise en place du bureau technique d'assistance et de coordination sous forme de groupement de bureaux où tous les intervenants sont présents.
Il s'agit surtout dans cette étape de traiter les dossiers des propriétaires et les transmettre au Fonds du patrimoine pour l'achat des biens. La deuxième phase concerne les études de consolidation avec un principe de priorité d'intervention. L'une des priorités à noter à ce sujet est la reconstruction des 57 parcelles vides qui constituent un soutien structurel pour les bâtisses en amont, la reconstruction des 128 parcelles en ruine, la restauration des 17 bâtisses murées non squattées, des bâtisses de propriétaires ayant déposé un dossier auprès des structures de la culture, des 6 bâtisses historiques en rapport avec la lutte de libération nationale et des lieux de culte et monuments majeurs.
A noter que les BET retenus ont été chargés de l'élaboration des études de consolidation et de restauration. La troisième phase a trait au choix des entreprises nationales publiques et privées (bâtiment et génie civil). La quatrième phase est relative au déplacement de la population dont il convient de noter que 800 familles ont bénéficié d'un relogement définitif (sans retour) et 600 familles d'un «relogement tiroir» ou provisoire en attendant la réhabilitation de leurs maisons. Parallèlement, d'autres opérations revêtaient un caractère urgent.
Le dernier Conseil des ministres, consacré à la gestion de la capitale, a inscrit parmi les points de l'ordre du jour la mise en œuvre du plan de sauvegarde de La Casbah. Abdelmalek Sellal a instruit les instances concernées de la poursuite du plan d'action arrêté par le ministère de la Culture. Le wali d'Alger a, pour sa part, constitué un comité d'intervention pour les services basiques.
Entre temps, d'autres opérations revêtant un caractère urgent ont été concrétisées telle la restauration des deux minarets de la mosquée Ketchaoua qui risquaient de s'effondrer. A rappeler au sujet de ce lieu de culte, et dans un cadre d'assistance technique, que le gouvernement turc s'est engagé de prendre à sa charge sa restauration totale.
Propriétés privées : la problématique du cadre juridique
Si La Casbah d'Alger a bénéficié de plusieurs opérations de relogement, le problème n'en est pas moins réglé définitivement. Il y a quelque part un dysfonctionnement qui laisse planer des interrogations de savoir quelles explications donner à cette situation qui perdure et risque de ne pas connaître de solution à moins d'une décision radicale. D'aucuns parlent de volonté politique. Qu'attendent dans ce cas les pouvoirs publics pour prendre le taureau par les cornes et en finir avec un épineux problème ?
Ce n'est pas aussi facile qu'on peut le croire, répondent les initiés. Pour notre interlocuteur, La Casbah a connu 0% de relogement. En d'autres termes, toutes les demandes réellement exprimées ont été satisfaites dans un cadre administratif. Pourtant, les insatisfaits ne manquent pas à l'appel. Chaque relogement apporte son lot de mécontents se transformant souvent en émeutes.
Pour le représentant de la wilaya, il s'agit d'une situation difficile à contrôler en raison d'un certain nombre de facteurs dus en majorité à la problématique du cadre juridique. Il faut savoir, en effet, que 85% des bâtisses sont des propriétés privées. Les propriétaires louent leurs biens à des tiers. Les maisons sont souvent louées après le départ des précédents occupants, un manège très difficile à contenir à cause de la complicité des propriétaires qui trouvent leurs comptes dans ce business inespéré. Par ailleurs, un autre problème et non des moindres se pose, en l'occurrence celui des héritiers. A ce titre, la wilaya ne trouve en fait pas d'interlocuteur(s) face à des héritiers eux-mêmes en désaccord sur l'héritage.
Il arrive que l'un d'eux quitte les lieux, il est tout de suite remplacé par un autre qui fait prévaloir ses droits. La wilaya, de son côté, ne peut faire aucune intervention dans un bien tant qu'elle n'est pas revêtue du sceau de la justice. Des cas presque impossibles se sont présentés aux services de la wilaya et l'exemple qui va suivre est assez édifiant. Il y a quelques années, une bâtisse a été recensée avec deux propriétaires qui avaient acheté ce bien dans les années 1930 sans même en parler à leurs familles. L'un d'eux décède en 1939 et son copropriétaire en 1943.
Ces informations ont été rapportées par les occupants des lieux. Comment traiter un cas pareil qui n'en est pas unique ? Même si loi prévoit «la déclaration de la vacation de biens», il faut attendre quelques années pour intervenir. En attendant, la bâtisse est en train de subir des dégâts sans parler d'éventuels mouvements de départs et arrivées d'occupants. Dans cette attente, la wilaya essaie de négocier avec les propriétaires dont 57 sont d'accord pour confier la prise en charge de leurs biens.
D'autres (316 bâtisses) sont prêts à participer à la restauration de leurs biens au taux prévu par la loi qui est de 20%. Après le séisme du 1er août, 3 opérations de relogement ont été concrétisées au profit de 331 familles issues de 45 bâtisses classées rouge par le CTC.
Les lieux ont été fermés et un gardiennage a été instauré. Mais il se trouve que quelques familles bravant le danger ont squatté de force ces bâtisses dans l'espoir de bénéficier d'un relogement. Parmi elles, beaucoup ont été rejetées par décision des commissions compétentes.
Une décision qui n'a pas été agréée par ces familles. Eu égard à ces contraintes majeures, l'on se rend compte que la gestion de La Casbah, et notamment son volet relogement, n'est pas une mince affaire. Ceci oblige les services de la wilaya d'Alger à attendre les résultats des entreprises intervenant sur les lieux et le traitement des dossiers par ordre de priorité pour pouvoir mener des opérations de relogement sans crainte de réactions d'insatisfaction.
Cependant, initiés, amoureux de la vieille cité et associations ne cachent pas leur déception quant aux lenteurs accusées dans la prise en charge de la réhabilitation. Le ministère de la Culture, pour le désigner, ne montre en tout cas pas assez d'engouement à ce sujet. Sinon, pourquoi les choses traînent alors que l'argent existe ?


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