Dans les cimetières chrétiens en Algérie, la profanation est un fait connu. A la suite de la décennie noire, ces lieux sont carrément délaissés. En 2005, on comptait près de 62 cimetières détruits, soit 4000 tombes abandonnées dans un état de désolation absolue. Deux programmes de regroupement de sépultures civiles françaises dans les caveaux des cimetières centraux ont eu lieu, dont un en 2011, qui ne concerne que les seuls cimetières en ruine dont la réhabilitation est impossible. La réalisation de ce programme ne pourra être menée à son terme qu'à la condition de poursuivre l'effort budgétaire avec l'aide des collectivités territoriales, des associations, des particuliers, voire d'autres sources. «In Memoriam» est une association qui a pour objectif de veiller sur les sépultures civiles françaises des circonscriptions consulaires d'Alger, et qui, il y a quelques années, contribuait à la réhabilitation et à l'entretien des cimetières chrétiens. Cependant, on note une insuffisance cruelle de dons et de subventions. L'établissement de gestion des pompes funèbres et cimetières de la wilaya d'Alger met lui aussi la main à la pâte : désherbage, cimentation… L'équipe, dont l'effectif matériel et humain est très faible, agit actuellement au cimetière de Aïn Benian, où l'on peut constater l'ampleur de la détérioration du terrain sacré : tombeaux fracturés, graffitis, ordures éparpillées, un cimetière saccagé, transformé en dépotoir, vandalisé. Approximativement tous les tombeaux sont ouverts, victimes de pillage. On peut observer une quasi-similitude pour le cimetière musulman voisin, où on ne reconnaît presque pas les tombes couvertes de mauvaises herbes qui jonchent sur chaque parcelle du territoire, sans parler des tombes d'enfants que l'on ne voit même plus. Le cimetière ne connaissait pas ce malheureux bilan à l'époque. «Un paradis», voilà ce à quoi ressemblait ce lieu de mémoire, d'après les habitants de Aïn Benian. Le gardien qui assurait l'entretien des lieux est décédé il y a 4 ans. Depuis, le terrain est abandonné, et seuls des sangliers s'y promènent le soir, laissant derrière eux une terre esquintée. Un beau cimetière à Bouzaréah Le cimetière chrétien de la route de l'Observatoire est fermé depuis une trentaine d'années alors qu'il peut être réhabilité pour être visité. On y trouve par exemple les restes d'un corps de soldat inconnu retrouvé au fort de Bouzareah durant les premières années de l'entrée des Français en Algérie. A l'extérieur de certaines grandes villes, la plupart des cimetières européens ont été victimes de tant de saccages qu'ils sont classés «irrécupérables», sans compter tous les cimetières chrétiens éparpillés à travers la région de Tizi Ouzou. Un point commun prédominant est à relever : ils sont dans un état d'abandon très avancé. L'état des lieux du cimetière de Tigzirt dans la wilaya de Tizi Ouzou, par exemple, se résume en un mot : «profanation», voire «érosion», iront jusqu'à dire certains. Suite à l'abandon des terrains dû à un manque financier et de force de travail, les wilayas et les APC se partagent la charge. L'EGPFC (Etablissement de gestion des pompes funèbres et des cimetières) et son équipe a sous sa responsabilité environ 130 cimetières à ce jour, dont El-Alia, qui comprend la plus importante concentration de sépultures en Algérie. Cet espace de recueillement et de souvenirs est partagé par de simples citoyens, des personnalités et des hommes historiques. Des Anglais reposent vraiment en paix à El Alia Pour plus de précisions pour ceux qui ne le savent pas, c'est du côté de Bab-Ezzouar que l'on peut trouver El Alia. A l'entrée, le chemin est bien goudronné, des arbres imposants dessinent l'allée. On peut apercevoir l'esplanade centrale et le Carré des moudjahidine. Plus on s'enfonce dans le terrain sacré, moins le côté formel se fait sentir. Le désordre s'impose, les mauvaises herbes se font plus fréquentes, sans compter les tombes qui sont entreposées ci et là. O n peut tomber sur le Wembley d'El Alia, exception unique, le carré anglais. Ici reposent en paix des dizaines de soldats originaires des pays du Commonwealth «tombés au champ d'honneur». On pourra constater l'indéniable contraste entre ce carré et le reste du cimetière : un gazon présent sur tout le carré, une pelouse parfaitement taillée, un terrain impeccable, des pierres tombales en bon état adroitement organisées, quelques jolies plantes. Cet entretien irréprochable est géré depuis Tunis. Qui se charge alors du financement de l'entretien et de la remise en état de ces cimetières ? L'Etat. L'effort de transformation est nouveau et frais, ce qui nous laisse optimiste sur l'évolution des choses. Hormis la remise en état des cimetières, l'entretien quotidien est une tout autre histoire. Il est évident que le civisme d'une population joue un grand rôle dans la conservation de nos terrains sacrés. Ne parlons pas de ces jeunes qui profitent de ces lieux abandonnés pour s'adonner à leurs activités préférées. Il est donc flagrant qu'un manque d'éveil civil se fait ressentir. Un lieu sacré Notre ultime résidence, notre repère définitif. Ce lieu sacré doit jouir d'une considération juste et d'un respect inaliénable. Cependant, rien n'est épargné. Cimetières chrétiens, musulmans ou juifs ont tous un point commun : un besoin d'entretien. En voyant le bilan de ces lieux de mémoire, on se demande si dans la pensée du peuple algérien, il reste quelque chose de sacré. «L'âme ne respire qu'à notre mort», dit un jour l'écrivain Charles de Leusse. Une citation qui justifie la garantie en état de la dignité et du respect de nos sépultures.