Le très perspicace président du Front Al Moustakbal, Abdelaziz Belaïd, somme la classe politique de «laisser faire la justice dans les affaires de corruption». Comme il fallait bien dire quelque chose qui colle à l'actualité pour sortir de l'austérité des rendez-vous organiques, l'ancien «jeune» qui a régné sur l'UNJA jusqu'à l'orée du troisième âge a profité de l'installation de la «commission des jeunes cadres du parti» – décidément – pour s'adresser à ses pairs en ces termes : «La classe politique doit laisser à la justice le soin d'examiner les dossiers de corruption et de dilapidation des deniers publics». Dans cette «sortie», on aura d'abord remarqué avec quel aplomb M. Belaïd s'emploie toujours à enfoncer des portes ouvertes. Puis, cette question : qui empêche la justice d'«examiner les dossiers de corruption» ? L'interrogation peut manquer de pertinence tellement elle paraît évidente. Sauf qu'il se peut bien que le président du Front Al Moustakbal adresse sa sommation au mauvais destinataire. Car, pour «laisser la justice faire son travail», il faudrait que la justice soit indépendante et c'est la moindre des choses. Il s'est même trouvé un magistrat, en pleine audience du procès de l'autoroute Est-Ouest qui a le mérite de la sincérité, comme pour dire à M. Belaïd qu'il fait de mauvais… procès : «Ne comptez pas sur moi pour convoquer un ministre» ! En voulant jouer à l'instituteur politique, il ne sait pas quel discours il relaie, à moins qu'il ne le sache très bien, en l'occurrence. Parce que de l'autre côté de la barrière, cela devient maintenant systématique, quasiment pavlovien. A chaque fois que quelqu'un a l'audace d'évoquer les affaires de corruption et d'une certaine manière tous les autres sujets de justice qui fâchent, il est invité - enfin, inviter n'est pas toujours le mot exact en la circonstance - à laisser la justice faire son travail. Mais si l'ex-jeune Abdelaziz Belaïd s'adresse à la classe politique, sans doute parce qu'il doit penser que c'est potentiellement moins coûteux, d'autres s'adressent à la… presse. Dans le cas des scandales de corruption notamment, ils leur «conseillent» de laisser la justice faire son travail, mais le sous-entendu se passe de commentaire : ça veut dire, ne faites pas le vôtre ! Il y a d'autres manières de dire aux journalistes de ne pas se mêler de ce qui les regarde et elles reviennent à l'envi, particulièrement à l'occasion de cette «Journée internationale de la liberté de la presse» où les «oui mais» sont élevés au rang de sacerdoces. A l'occasion, on retrouve quelques pleureuses à la larme tenace mais surtout beaucoup de faux dévots. La liberté de la presse ? Beaucoup de choses auraient été accomplies. On le savait, merci. Et puis quoi encore ? Il paraît que la presse manque de «professionnalisme». Sous-entendu… direct : dans le meilleur des cas, on doit attendre la performance professionnelle pour prétendre à une liberté de ton jusque-là imméritée ! Dans le pire, la presse est libre du fait des attributions du pouvoir et elle n'a jamais su se hisser au niveau de cette volonté politique qui serait donc évidente ! Et revoilà autant de panacées que la «formation», l'éthique, la déontologie, la spécialisation, les nouvelles technologies et tutti quanti ! Un peu, à moins que ce ne soit exactement comme on disait de l'indépendance de la justice : exiguïté des tribunaux, faiblesse des moyens d'investigation, carence en personnels de tous genres, manque de magistrats spécialisés…etc. ! Tout est finalement question de logistique et de troupes et on ne le savait pas !