Le président de l'ancienne Commission nationale de la réforme de la justice insiste, dans cet entretien, sur la prévention de la corruption par l'amélioration des conditions de vie et d'exercice des magistrats. Liberté : Les sanctions engagées par l'Etat contre les magistrats coupables de corruption, dans le cadre de sa campagne d'assainissement du corps de la magistrature, correspondent-elles aux recommandations de la commission de réforme de la justice que vous avez présidée ? Me Issad : L'Etat n'a pas besoin des recommandations d'une commission quelconque pour poursuivre des gens qui ont enfreint la loi pénale. Cela n'a rien à voir avec les réformes. Si quelqu'un a fauté, qu'il soit fonctionnaire, magistrat ou simple citoyen, il doit être sanctionné. Par ailleurs, je trouve malsain de parler de campagne. C'est le mot à la mode actuellement, comme si ce pays était une décharge. On n'assainit pas, on applique la loi. Parler d'assainissement est malsain. Cela veut dire qu'un corps quel qu'il soit est pourri. La chancellerie fait justement valoir une action inédite et d'envergure pour enrayer la pratique de la corruption dans le corps des magistrats. Qu'en pensez-vous ? Il serait inexact de dire que rien n'a été fait dans le passé. Les tribunaux fonctionnent depuis toujours. Le Conseil supérieur de la magistrature également. Qu'il y ait un petit coup d'accélérateur, c'est possible. Mais dire que rien n'a été fait auparavant et que dorénavant, tout sera fait, est injuste. Quoi qu'il en soit, il n'est pas sain de monter en épingle le fait qu'on ait sanctionné quelques magistrats. Car il s'agit là du fonctionnement normal de la justice. Partager-vous le fait qu'il existe des magistrats corrompus. À votre avis, qu'est-ce qui favorise leur corruption ? Nous pouvons étendre la question à tout l'Etat. En ce moment, nous parlons beaucoup de scandales, beaucoup plus de scandales dans l'administration que dans la magistrature. Quant plusieurs institutions sont gangrenées, il ne faut pas s'étonner que cela s'étende à la magistrature. La situation précaire des agents de l'Etat explique la corruption de certains d'entre eux. Aujourd'hui, vous êtes en poste. Demain, vous n'êtes pas sûr de le rester. Leur condition matérielle est également en cause. Il y a ceux qui n'ont pas de logements et qui font ce que vous devinez pour l'obtenir. Qui sont les corrupteurs, des particuliers, des agents de l'Etat ? Sommes-nous plutôt face à une corruption matérielle ou morale ? L'homme de pouvoir qui exerce des pressions sur un fonctionnaire quel qu'il soit et pas seulement le magistrat est un corrupteur. Il faut davantage sévir contre le corrupteur que le corrompu, parce que le second est souvent le subordonné du premier. La corruption n'est pas que matérielle. Elle est aussi politique, intellectuelle, morale. Il faut davantage s'attacher aux causes de la corruption qu'à la corruption elle-même. C'est la résultante d'un état de fait. Il faut d'abord diagnostiquer ce qui favorise la corruption plutôt que de s'acharner sur les corrompus qui ont peut-être subi des pressions, qui ont des besoins, des impératifs que l'exercice normal de leur profession ne leur assure pas. Selon vous, la pratique de la corruption dans le corps de la magistrature est-elle due à un manque de vigilance de la chancellerie et de son inspection générale ? L'inspection générale fait son travail comme les policiers ou les gendarmes font leur travail. Mais, vous avez beau réprimer les corrompus, vous n'arriverez jamais à bout de la corruption si les causes de celle-ci ne sont pas supprimées. C'est exactement la même chose pour les maladies. Si vous vous contentez de soigner les patients, vous n'éradiquerez pas le mal. Il faut faire de la prévention. Comment prévenir ce genre de fléau ? En répondant aux besoins élémentaires des particuliers, des fonctionnaires, des agents de l'Etat. Rétablir l'instruction civique dans le système éducatif, apprendre aux élèves ce qu'est un Etat, ce qu'est le respect de l'intégrité morale d'une personne et de ses biens. Nous avons tendance à oublier tout cela. Et lorsqu'un malheureux fonctionnaire est traduit devant un tribunal, c'est toute la presse qui lui tombe dessus. S. L.