Ramadhan. Déjà trois jours de… bouffés. Le jour de la… nuit du doute, on a encore sorti cette blague : «Bon Ramadhan, si c'est demain. Si c'est après-demain, appelle-moi pour te le redire». La nouvelle, c'est celle-là : pendant toute l'année, il a les dents jaunies par la crasse, et une fois le Ramadhan arrivé, il se demande s'il est licite ou non d'y passer une brosse et du dentifrice. Ça a débuté au ralenti puis ça monte. Très rapidement. Il fallait quand même commencer par en rire, avant de passer aux choses sérieuses. «Bon Ramadhan, si c'est demain. Si c'est après-demain, appelle-moi pour te le redire». C'est le propos de quelqu'un de particulièrement inspiré à son copain au soir de la nuit du doute. Quand ils ne jeûnent pas, les Algériens sont capables de rire. Ils savent même rire du… jeûne. Ils auraient pu le faire aussi aux premières heures de la matinée avant que l'estomac ne soit entamé par les crampes. Mais on ne rit pas en dormant. Et personne n'est pressé de se lever quand le café et le croissant sont une lointaine perspective. A midi, on n'a pas encore vraiment faim mais il fait déjà trop chaud pour rigoler. «Parler donne soif» dit la formule du terroir new look. Rigoler est une façon de parler qui demande plus d'effort physique. Et l'effort, c'est trop demander à un jeûneur. Sinon on va lui demander de travailler, tant qu'à faire ! On vient d'avoir la dernière : quelqu'un a lancé la «ligue des dormeurs» et il précise qu'elle sera opérationnelle à partir d'aujourd'hui. Il doit manquer affreusement d'humour, celui-là. Mais il ne va certainement pas manquer de clients. Pourtant, il devait penser nous faire rire et il a trouvé ça avant les grosses crampes d'estomac. Dormir à partir d'aujourd'hui (le premier jour de Ramadhan) n'est pas un programme, c'est un fait. Alors pourquoi se liguer ? Ça va vite, l'organisateur politique des ronflements des jeûneurs vient de changer l'intitulé. A moins qu'il ne trouve encore mieux avant le premier s'hor, ce sera «la ligue des héros du sommeil». On ne sait pas comment il va désigner ses héros mais on sait que le jeu sera serré. N'est-ce pas que c'est de la quantité que vient la qualité ? L'année passée, à l'heure où on rit jaune pendant que d'autres vocifèrent, un sexagénaire qui a la réputation d'être une boule de nerfs se présente à un étal de marché et demande un kilo de laitue au marchand qui le connaît bien. Voulant le pousser à l'esclandre, histoire de rigoler un peu, il alla dans la caisse à ordures chercher toutes les feuilles de salade pourries et les mit sur la balance. La réaction de son client «spécial» ne s'est pas fait attendre. Il a commencé à fulminer en le traitant de tous les noms d'étourneaux. En quelques secondes, le spectacle avait déjà attiré la moitié du marché. Les jeûneurs adorent ça en plus. Le spectacle. Et tout le monde s'y est mis. C'est fou ce que les jeûneurs adorent se découvrir des vocations de Casques bleus. Souvent en ajoutant du feu au feu. Mettre le feu dans une plaisanterie, dans le cas précis. On ne rigole pas avec la laitue, surtout à l'heure où tout le monde doit rire jaune avec des dents entamées par la… jaunisse. Du coup, le pauvre marchand qui voulait se détendre a oublié sa boule de nerfs pour s'occuper de tous les autres. Ils voulaient d'abord éteindre le feu mais comme il n'y en avait pas, ils ont allumé la mèche. Et c'est la débandade. Seul l'officier de police arrivé sur place après une alerte ou par inadvertance a fini par rire de bon cœur, quand dans un semblant de sérénité retrouvée, le vendeur de laitue a fini par lui expliquer la situation. Même le vieux nerveux a fini par comprendre et se tenir la tête. Et un bonheur n'arrivant jamais seul, tout le monde s'est rendu compte que le coup de canon n'est plus très loin. Ils se sont souhaité un bon f'tour et ils sont rentrés à la maison. Demain, ils recommenceront. Slimane Laouari