Si la rue Mulhouse, à Alger-Centre, porte désormais le nom d'Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge internationale, cela n'a pas été sans susciter une certaine réprobation. La Fondation du 8-Mai 1945 a tenu, par le biais d'une déclaration remise hier à notre rédaction, à dénoncer ce qu'elle qualifie "de grave dérapage, d'entorse nuisible à l'honneur et à la dignité du peuple algérien. " Elle en appelle même au premier magistrat du pays, à la famille révolutionnaire, digne représentante de la mémoire de ce peuple martyr, pour laver cet affront au nom de la Révolution algérienne. Le président de la fondation, M. Kheiredine Boukerissa, qui paraphe le document, ne comprend pas comment "des centaines de noms de martyrs, de tombes oubliées et de sacrifices sur l'autel de l'amnésie inscrits sur des listes oubliées, voire même ignorées à dessein, passent à la trappe et se voient doubler par un ancien colon qui, étrangement, bénéficie d'une distinction pour avoir été l'initiateur de la Croix -Rouge". Ce double affront à la mémoire collective relève non seulement de l'absurde mais le dispute à l'ineptie, pouvons-nous lire dans la déclaration. Mentionnant qu'Henry Dunant était un avant-gardiste de la razzia, de l'exploitation et de l'expropriation dont était victime le peuple algérien durant la colonisation, la fondation rappellera qu'il était un recruteur de colons suisses qu'il invitait à s'installer dans la région de Sétif, où la ville de Aïn Arnat a été le premier village colonial érigé par la Compagnie genevoise. L'organisation s'interroge sur cette insulte désinvolte de la mémoire de tout un peuple martyr dont la blessure est encore béante et les larmes fraîches, et sur ce coup de poignard dans le dos de l'honneur qui frise l'allégeance aux puissances étrangères.