Censée être une manifestation «pacifique» pour défendre «l'honneur du Prophète» visé par les caricatures de Charlie Hebdo, la marche d'hier à Alger à laquelle ont appelé plusieurs organisations et partis islamistes a tourné à un véritable affrontement entre les forces de l'ordre et les manifestants. Ces derniers ne se gênaient pas pour scander des slogans du tristement célèbre FIS dissous. Des blessés et des arrestations ont été enregistrés, des mobiliers urbains saccagés. Entamée depuis la mosquée «El Mou'minine» de Belouizdad, la marche qui grossissait à mesure que d'autres manifestants tout juste sortis des mosquées la rejoignait, a drainé la grande foule. Ils étaient des milliers à sortir après la prière du vendredi pour défendre «l'honneur du prophète» avec comme slogan phare «Nous sommes tous des Mohamed», en réponse à un autre slogan «Je suis Charlie», lancé en solidarité avec les victimes du journal français. Mais la marche n'a pas tardé à connaître les premiers couacs lorsque les marcheurs sont parvenus au niveau du commissariat central où le dispositif sécuritaire tentait de les empêcher d'atteindre le siège de l'Assemblée populaire nationale (APN). Premier jet de pierres. Un blessé, un vieil homme emporté par la bousculade, est évacué. Les manifestants qui scandaient «Nous sommes tous des Mohamed» tentent de forcer le dispositif, mais en vain. Les rues adjacentes leur ont été d'un grand secours puisque c'est à travers elles qu'ils ont pu le contourner pour rejoindre ensuite la Grande Poste. Ils scandaient sans gêne «le peuple veut un Etat islamique» et les habitants de quelques immeubles du boulevard Amirouche leur prêtaient même main-forte. Poussés sans doute par quelques activistes islamistes qui ne se montrent pas, ils font des deux auteurs de l'attentat perpétré contre le journal français Charlie Hebdo, les frères Kouachi, des «héros» à travers les slogans qu'ils scandaient. «Pourquoi vous, vous avez manifesté pour vos salaires sans que vous soyez empêchés alors que vous tentez de nous dissuader de continuer ?», lance un manifestant en direction des policiers. «Soyez d'abord organisés», lui répond un agent de l'ordre avec calme. Repoussés, les manifestants ont pris la direction de la Grande Poste où d'autres «fidèles» les ont rejoints, provenant d'autres quartiers. Voulant emprunter la rue Benmhidi, les manifestants ont buté sur un autre dispositif policier qui les a encore repoussés. Quelques têtes, visiblement des meneurs, se retirent, laissant la tension s'exacerber. Ceci non sans avoir «convoqué» des enfants en bas âge qu'ils mettaient au-devant de la marche comme «boucliers», nous dira un policier sur place, assurant que parmi les manifestants, nombreux sont «des repris de justice largement connus des services de sécurité». Au niveau de l'avenue Pasteur investie également par les manifestants, une tentative de rejoindre le Palais du gouvernement a été déjouée par les policiers qui ont vite fait de boucler les passages y aboutissant. «Djaich, Chaab, Mâak ya Daesh», n'hésitent pas à scandaient ces personnes. La situation se complique davantage avec les manifestants qui affluaient de partout, tentant de forcer le dispositif sécuritaire installé près de l'APN. S'ensuit alors un véritable affrontement entre policiers et marcheurs. Au niveau du square Port Saïd, où plusieurs dizaines de personnes ont été repoussées. Le constat est saisissant : d'une part les policiers qui essayaient juste de bloquer les manifestants pour éviter tout débordement, de l'autre des énergumènes en furie qui jetaient des pierres sur les agents de l'ordre, contraints ainsi d'user de gaz lacrymogènes et des camions chasse-neige pour se défendre. Plusieurs personnes ont été arrêtées, apprend-on sur place. Les manifestants font une deuxième tentative pour parvenir à l'APN mais ont été encore une fois repoussés par les policiers dont le dispositif a été renforcé. Les manifestants ont sur leur passage saccagé du mobilier urbain, des abribus notamment, et selon un témoin, l'agence d'Air Algérie a également été saccagée. A l'heure où nous mettons sous presse, les affrontements se poursuivaient, bien qu'ayant baissé en intensité. Un jeune manifestant ayant quitté le lieu de l'affrontement nous lance cette phrase lourde de sens : «Nous avons fait notre devoir».