Comme au tout début de la saison estivale 2008, le retour des beaux jours cette année encore a été l'amorce d'une déferlante humaine de clandestins depuis les plages algériennes et particulièrement celles de Annaba, vers les rives sardes. Comme dans un remake de mauvais film, les autorités locales, avec en première ligne les gardes-côtes de la façade maritime est, les arraisonnements se suivent et se ressemblent, curieusement… Le type d'embarcations utilisées, toutes de fabrication artisanale et dotées des mêmes moteurs (Suzuki 40cv), les lieux d'embarquement (criques et plages des wilayas de Annaba et d'El Tarf, proches de localités populeuses) ainsi que les horaires choisis par les équipées pour l'aventure, sont autant d'indices à même de convaincre les enquêteurs de l'existence au niveau desdites wilayas d'un réseau spécialisé de passeurs. Les interrogatoires de routine auxquels sont soumis les harraga interceptés n'auraient pourtant pas permis de remonter les filières supposées, indiquent des sources proches de la station maritime. Un atelier de fabrication de barques artisanales à Sidi Salem Les personnes arrêtées refuseraient obstinément de révéler les noms de leurs éventuels contacts ou relais, semble-t-il. Nos sources expliquent cette «discrétion» par une sorte d'omerta. Une obligation de réserve à laquelle se soumettraient tous les candidats à l'émigration clandestine, une fois leur cas étudié et pris en charge par les passeurs. On signale que la présumée loi du silence dictée à celui-ci s'appliquerait aussi pour les papiers d'identité que le harrag porte sur lui et qu'il est censé faire disparaître une fois arrivé à destination, afin d'éviter d'être systématiquement rapatrié vers son pays d'origine. Ceci dans l'éventualité d'une interception par les gardes-côtes du continent européen, précise-t-on. Les gendarmes, qui ne sont pas restés les bras croisés, de leur côté, ont exploité les bribes de renseignements collectés. Ils ont réussi, il y a une dizaine de jours, à localiser un atelier de fabrication de barques artisanales à la périphérie de la localité de Sidi Salem et à arrêter son propriétaire. Un lot de six embarcations a été saisi, alors que l'artisan a été mis en liberté provisoire, faute de preuves l'impliquant dans ce trafic, si ce n'est une activité commerciale traditionnellement entretenue par ce dernier avec les petits pêcheurs, apprendrons-nous sur les lieux. Les événements qui ont suivi ce démantèlement amplement médiatisé, faut-il le souligner, ont prouvé que les barques utilisées à l'occasion de chacune des tentatives mises en échec viennent d'un autre atelier, du moins de l'avis des gendarmes. Le ticket de la mort à 100.000 DA «Il n'y pas que cela, insiste un vieux pêcheur de Sidi Salem, il faut savoir que pour aller en haute mer, il faut s'équiper du minimum de survie, en plus des provisions de carburant pour une traversée aller et retour». Le vieil homme qui dit ne pas comprendre la motivation des jeunes qui prétendent fuir, selon lui, l'enfer en Algérie pour foncer droit vers celui de l'Europe, se pose des questions sur la nature des gens qui organisent ses traversées de la mort. «Tout le monde sait ici que le tarif des harga est fixé à plus ou moins 100 000 DA. Ce qui rapporte quelque chose comme 200 millions de centimes par voyage aux organisateurs, ce n'est pas rien, même après déduction du coût de la barque, du moteur, des gilets de sauvetage, du faux matériel GSM et des fusées de détresse, l'attirail du navigateur clandestin, quoi», se désolera-t-il, avant de regretter que les autorités mettent autant de temps pour neutraliser le gang des passeurs. Il se montrera toutefois incapable de dire qui est derrière ce réseau, se limitant à évoquer vaguement le nom, ou plutôt le sobriquet d'un personnage qu'il soupçonne être le caïd, le parrain des harraga de l'est algérien. Pour notre interlocuteur, il s'agirait d'un certain Mohamed Babaye, un homme d'une trentaine d'années, qui serait toujours bien habillé et qui roulerait toujours à bord de grosses cylindrées. «Ce vampire s'enrichit sur le dos des jeunes désespérés, qu'il ne contacte même pas personnellement et du sort desquels il ne se soucie certainement plus une fois le pactole empoché», conclut le vieil homme avec un geste d'impuissance.