L'exaltation du souvenir, auréolé du bon vieux «ya hassra âla z'men» de chez nous, n'est pas du ressort d'un romantisme passéiste. Non, cela se justifie par ce choc violent entre des images idéalisées par le passé et une réalité d'aujourd'hui aux qualifiants souvent crus et tristes à mourir. C'est ainsi qu'en parlant de sa ville natale,d'adoption ou de greffon (…), avec amour, passion et même dévotion, le quidam le fait souvent au son de cloche du glorieux passé. Un passé forcément reluisant, resplendissant, ne retenant que la belle façade de ce qui l'a vu grandir. L'école, le lycée, le quartier, l'équipe defoot, les amis, les voisins, la famille, bref, tout passe par le beau versant de la moulinette, ô combien sélective, de la mémoire. Ce beau versant, humain et matériel, ne saurait être remis en cause, ne souffrirait, en principe, d'aucun outrage ! Et le mot est lâché : outrage… Annaba, la bonne vieille Bône, surnommée ‘'La Coquette'' par le passé, souffre actuellement l'outrage au quotidien dès qu'elle tourne le dos aux atouts que Dame Nature lui a offerts. Entre nous, l'outrage dont il est question est bien entendu beaucoup moins dramatique que celui des Ghaza, Baghdad ou Tripoli, mais la déliquescence qui envahit avenues, rues et venelles de Annaba n'en est pas moins outrageante. Et outrageante aura été l'image affligeante de toute une ville jonchée d'ordures et de détritus à même le sol suite à la grève des éboueurs de la commune en début de semaine. Cette grève a heureusement pris fin. Néanmoins, Annaba se doit à un patrimoine de lieux, de figures, de senteurs, d'atmosphères et d'accents à préserver. De cette multitude d'éléments tant physiques qu'immatériels qui configurent d'une appartenance de l'individu à un collectif, l'on tient comme à la prunelle de ses yeux. Et comme pour les métaux précieux, ces sentiments ne résistent pas à la froideur de l'analyse quand il y a décomposition, altération… Le Cours détourné Et là, intervient l'appartenance identitaire à une ville. On ressent que celle-ci vous appartient et ce gène culturel et particulier éprouvé par le Annabi pour son Cours, son Sidi Brahim ou son Hassen El Annabi est le même chez le Constantinois pour sa Rahbet Ledjmal, son Ahmed Bey ou son Hadj Mohamed Tahar Fergani. Et ne peut se prétendre citadin que celui qui aura intériorisé tout ce legs. Ne peut se targuer d'être de Annaba, de Constantine, de Skikda (de souche ou de greffon, peu importe) ou autre ville algérienne que celui qui est impacté de la beauté citadine, jaloux de ses particularités culturelles, de richesse patrimoniale, de savoir-vivre et de fierté citadine. Et cette fierté est battue en brèche à Annaba, notamment ! A bien regarder, c'est de l'intérieur qu'Annaba est outragée. Réceptacle d'exode en tous genres, Annaba étouffe de bouchons sur les grands boulevards, d'hygiène publique et autres joyeusetés qui font la laideur d'une ‘'Coquette'' sommairement fardée et grimée, notamment l'été. Les responsables de cette ignominie font frémir, hélas en toute impunité, le feuillage d'un arbre perdant peu à peu son ancrage civilisé d'antan. Et c'est là que réside tout le drame d'Annaba. Les Annabis qui n'ont jamais rejeté autrui vivent aujourd'hui en autarcie. L'incompétence dans la gestion de la cité en est la cause et les administrateurs ayant inscrit, par le passé, leur nom en lettres d'or au fronton de la cité de Saint Augustin, n'ont plus que le «ya hassra etc.» à se mettre en bouche. Mais bon, après cette trêve estivale, il est à parier que des consciences citoyennes viendront redorer bien des blasons ternis !