Lorsque vous marchez sur la chaussée et qu'un engin vous renverse, c'est la fête devant les juges du siège. L'inculpé bombera alors le torse et vous roulera dans la farine.Mais lorsqu'un véhicule renverse un piéton qui marche sur et «dans» le trottoir, la fête change de camp. L'inculpé se fait tout petit et la victime fait une démonstration musclée pour étayer les demandes en réparation. Sofia Ouhida, elle, en juge avisée, écoute les parties avant de... «Slimane, que vous est-il arrivé le 23 mai ?», dit en battant des cils Sofia Ouhida, la juge du pénal de Blida. «Je marchais vers le marché lorsque j'ai reçu comme un gnou sur le dos pour n'ouvrir les yeux qu'au milieu d'une foule de curieux venus me secourir...» «Et vous inculpé. Qu'avez-vous à dire ?», articule le front haut qu'orne un très beau foulard bleu, blanc, noir, la présidente. «Je... heu. Je ne me rappelle que lorsque la voiture s'était heurtée au muret du jardin de la cité mitoyenne. Franchement, je...», répond Ahmed L., la quarantaine largement entamée. «Agent ! Appelez le premier témoin de l'accident !», tonne la magistrate visiblement pressée de libérer tout ce beau monde assis dans une très belle salle d'audience fraîchement réouverte après de solides consolidations.Le premier témoin, originaire de Mouzaïa, dit ce qu'il a vu et... entendu. «Madame la présidente, je marchais derrière la victime que j'ai vue être projetée sur la chaussée alors qu'elle marchait sans crainte sur le trottoir. J'ai alors entendu quelques secondes après un juron. C'était l'inculpé qui criait des mots pas gentils après les freins qui ont probablement lâché au mauvais moment et au mauvais endroit», explique avec beaucoup d'assurance Ali de Mouzaïa. «Le tribunal vous remercie pour votre précieux et précis témoignage même si vous n'aviez pas vu arriver l'autre. Agent, appelez le second témoin», dit à haute voix la magistrate alors que Abderrahmane Ghezali, le procureur, griffonne sur son registre d'audience. Salim R., la cinquantaine, raconte exactement la même version que Ali de Mouzaïa avec cette précision de taille : «Madame la présidente, j'ai vu l'inculpé tenter de redresser le volant de la voiture qui, heureusement, ne roulait pas trop vite et c'est pourquoi il a seulement perdu connaissance.» «C'est bien merci. Alors, qu'a donné l'enquête ?» «Sur le PV et le constat, il est question de freins qui ont lâché et le longeron brisé», «monsieur le procureur, vos demandes s'il vous plaît ?» «Deux mois de prison assortis du sursis et heureusement qu'il n'y a pas eu de sang...» Le dernier mot de l'inculpé tournera autour du destin. Ouhida va s'en tirer avec une décision qui va laisser la victime heureuse d'avoir au passage réclamé une expertise pour son dos meurtri et vingt mille dinars de réparation en attendant les résultats de l'expertise. Attendre la première semaine de juin pour prendre connaissance du verdict.