La municipalité d'Akerrou dans la daïra d'Azeffoun, à une soixantaine de kilomètres à l'est du chef-lieu de wilaya, est parmi les plus déshéritées sur soixante-sept communes. Un constat connu de tous, y compris des autorités locales. Les quelques 6000 âmes qui vivent dans les douze villages répartis sur le territoire de cette commune manquent de tout. Aucune usine, publique ou privée, n'est implantée dans cette commune. aucun espace de loisirs pour les jeunes, pas de décharge publique, absence de gaz naturel, pénurie d'eau potable, manque de routes, insuffisance de réseau téléphonique…. Pourtant tout y est pour que cette localité située à l'extrême est de la wilaya, à la limite de la wilaya de Béjaïa, entre les forêts de Tamgout, Yakouren et Akfadou, devienne un pôle d'investissement. Servie par la nature avec ces vastes espaces forestiers, Akerrou est malheureusement oubliée, pour ne pas dire abandonnée par les autorités. Se rendre à Akerrou est un plaisir pour les amateurs de la nature. Accrochée au mont Tamgout, la commune d'Akerrou, constituée à 90% de terres forestières, est une véritable carte postale. La verdure et les arbres sont les principaux décors. Seulement tous ces atouts naturels ne font pas vivre les citoyens de cette localité, bien au contraire, comme l'a si bien résumé le P/APC : «Akerrou, qui dépend à 100% des subventions de l'Etat avec un budget annuel de l'ordre de 3 milliards de centimes, n'a tiré de cette richesse naturelle que des incendies de forêt et des actes terroristes.» De loin, Akerrou attire. C'est beau, c'est même paradisiaque pour ceux qui connaissent cette région à travers les photos. Mais pour ceux qui y vivent, c'est un vrai enfer. «Nous manquons de tout. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Regardez autour de vous, rien n'indique que vous êtes au chef-lieu de la commune. Même le siège de l'APC, pourtant le symbole suprême de toute commune, n'est pas encore achevé. Les citoyens sont obligés de se rendre dans des baraques datant de l'ère coloniale pour se faire délivrer des documents d'état civil», déclare, avec amertume, un citoyen rencontré dans l'un des rares cafés de la ville, ou plutôt le grand village de Thifrith Nath El Hadj, érigé en chef-lieu de la commune d'Akerrou à l'issue du découpage administratif de 1984. Trente-et-un ans après, Akerrou n'a pas trop changé par rapport au village d'antan. Bien au contraire, témoigne notre interlocuteur, les choses ont empiré, car selon lui, un chef-lieu devrait refléter l'image de la commune. «Nos parents ont vécu ici dans le village de Thifrith Nath El Hadj et ils ont supporté la rudesse de la vie à l'instar de la majorité des villageois de la Kabylie. Mais aujourd'hui, nous sommes au 21e siècle, on ne peut pas demander à un jeune de 20 ans de vivre sans gaz de ville, de ne pas se connecter au net, ou pire ne pas pouvoir donner un simple appel téléphonique, faute de réseau», fulmine notre guide. 0% développement, 100% dénuement ! En effet, durant notre visite dans cette commune, nous avons constaté que tout manque à Akerrou. Des femmes portant des bassines remplies de linge lavé dans des sources éparpillées un peu partout dans les villages, sont aperçues à chaque coin de route. Une preuve que l'eau potable se fait rare dans cette commune. Les robinets sont souvent à sec. Pénurie oblige, le précieux liquide ne coule dans les robinets qu'à raison d'une seule fois par mois, dans la majorité des villages. Cinquante-trois ans après l'Indépendance, Akerrou, considérée comme un bastion de la guerre de Libération nationale, pour avoir sacrifié ses meilleurs enfants tombés aux champs d'honneur, est aujourd'hui à la traîne. Pour illustrer le dénuement dans lequel végète cette localité, on citera l'absence de gaz de ville. Aucun foyer de la commune n'est alimenté. Si au niveau de la wilaya on se targue d'annoncer des taux de pénétration à deux chiffres sur l'ensemble du territoire de la wilaya, à Akerrou c'est tout simplement le chiffre zéro qui revient sur toutes les lèvres, y compris chez le président de l'APC qui nous a informés que sur les 67 communes de la wilaya, 3 seulement, à savoir Akerrou, Aït Chaffa et Zekri, n'ont pas encore été raccordées au réseau de gaz naturel. Selon le maire, des démarches sont effectuées pour que la commune puisse enfin bénéficier de cette énergie. Selon lui, le projet est en bonne voie, et la direction de l'énergie et des mines de la wilaya a confié le projet à l'entreprise publique Kanaghaz qui devra d'ailleurs acheminer la conduite de gaz, de 16 pouces, jusqu'aux frontières de la wilaya de Béjaïa. «Nous avons peur que le gaz naturel dont on dit que la production est en déclin ne se tarisse en Algérie sans pouvoir en bénéficier un jour», ironise Mustapha Sedoud, un enfant d'Akerrou, résidant à Alger qui avait défrayé la chronique dans la région en annonçant sa candidature à l'élection présidentielle 2014. Rencontré à l'entrée du chef-lieu d'Akerrou, Mustapha nous a servi de guide en nous menant directement vers un lieu qui fait office de siège de l'APC. Un siège constitué d'un ensemble de baraques dont certaines datent de l'ère coloniale. En attendant la réception du nouveau siège, situé à une centaine de mètres plus bas, et dont les travaux ont débuté en… 2008, les agents et les élus de l'APC sont obligés de s'entasser dans des baraques de fortune pour offrir à leurs administrés les prestations nécessaires dans des conditions déplorables. Selon le P/APC, M. Maouel, le nouveau siège est quasiment achevé, et sa réception est une affaire de quelques semaines. «Son inauguration devrait se faire le 1er novembre prochain mais comme les travaux de raccordement à l'électricité ne sont pas encore achevés, la réception du nouveau siège de l'APC est reportée pour les prochains jours», nous dit-il avant de nous informer que le siège de l'APC a été la cible de trois actes terroristes par des tirs de hebheb (mortier artisanal) depuis 1994. Des actes qui témoignent de la situation difficile vécue par les citoyens de la région durant les années de braise. Des citoyens qui ont fait preuve de courage et de bravoure en étant aux premiers rangs de la lutte contre le terrorisme comme l'ont fait avec honneur leurs aînés contre le colonialisme. «On ne demande pas de privilèges mais juste nos droits pour que nos enfants et nos petits-enfants puissent vivre dans la dignité. Nous avons lutté contre l'occupant français pour libérer l'Algérie, mais malheureusement nous vivons toujours dans les mêmes conditions que celles d'avant la guerre», se désole le vieux Mohand Tacine, un moudjahid de 80 ans, qui a connu les affres de la guerre en compagnie de sa femme moudjahida, décédée. «Je ne cherche pas le luxe. Je vis de ma petite pension et je ne demande aucun privilège. Seulement l'Etat doit se pencher sur la situation de notre commune. Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, les villageois d'Akerrou sont toujours dans le dénuement. Rien n'incite les jeunes à y rester. Même ceux qui veulent poursuivre leur scolarité finissent par abandonner faute d'infrastructures éducatives», déplore celui qui a tenu tête aux militaires et policiers en France, même lorsqu'il combattait le colonialisme durant la guerre de libération sous la bannière de la fédération du FLN en France, laissant sa femme au village s'occuper du ravitaillement des moudjahidine dans les maquis de l'Akfadou et Tamgout. Zone rouge durant la guerre de Libération, territoire oublié à l'Indépendance A Akerrou, les stigmates de la guerre de Libération nationale sont encore vivaces dans les esprits de ceux qui l'ont vécu en tant qu'acteurs. C'est le cas de la moudjahida Tassaâdit Boussoualem, qui garde en mémoire les moments difficiles qu'elle avait vécus dans son village à Tigounatine, considéré comme une zone rouge durant la guerre. Situé entre l'Akfadou et Tamgout, ce village, à l'instar des onze autres hameaux que compte la commune d'Akerrou, a été le théâtre de nombreuses batailles entre les moudjahidine et l'armée coloniale, mais aussi un passage et un refuge pour les combattants les plus gradés de l'ALN. C'est le cas du colonel Amirouche, témoigne Nna Tassaâdit. «Je l'ai connu en personne. Il venait souvent ici pour se réfugier mais aussi pour les réunions avec les moudjahidine. Notre région a donné beaucoup durant la guerre de Libération. Tout le monde a pris part à la guerre. Même les femmes ont été de la partie et l'armée coloniale a fait de cette région, une zone rouge en raison de son engagement actif contre l'occupant», nous confie-t-elle, en nous montrant du doigt les noms des 54 Martyrs gravés sur une stèle érigée en leur mémoire à la sortie du village. Présent à ses côtés, Rehali Akli, fils de chahid, tout en évoquant les sacrifices des meilleurs enfants de la région qui sont tombés les armes à la main dans les maquis, n'a pas oublié de citer tous les héros de la guerre de Libération originaires de la localité d'Akerrou, dont l'aura a dépassé les frontières du pays. Il nous cite la grande militante et martyre Ourida Meddad, héroïne de la bataille d'Alger, originaire du village Tigounatine, son chef encore en vie et surtout bien connu à travers le monde entier, le moudjahid et actuel sénateur, Yacef Saâdi, et le petit Omar figure emblématique de l'enfance algérienne engagée dans la guerre, tous deux originaires du village Aït Sidi Yahia, et aussi le chahid Ahmed Bouzrina, qui a donné son nom à une grande rue à Alger, originaire du village Almahelal. «Le meilleur hommage à rendre à tous ces grands noms qui s'ajoutent aux centaines d'autres anonymes issus de la région, ayant donné leur vie pour que l'Algérie vive libre et indépendante, est de voir les pouvoirs publics se pencher sérieusement sur le cas de cette commune qui manque de tout», ajoute ce fils de chahid qui nous a déclamé quelques poèmes en hommages aux Martyrs de la guerre de Libération, lui qui fait partie d'une troupe de madih religieux. «Nous sommes au bout de la patience. On veut notre part de développement et en finir une bonne fois pour toute avec cette situation de précarité. Notre commune n'existe que sur le papier. Même lorsque vous faites une recherche sur internet, vous ne trouvez que les mots synonymes de misère pour décrire notre localité qui risque de se voir vider de ses résidants d'ici peu, si rien n'est entrepris par les pouvoirs publics», résume avec philosophie un jeune chômeur attablé dans un café, scrutant l'horizon dans l'espoir de voir un jour le bout du tunnel.