«Sur les chiffres de la guerre, il y a des polémiques interminables. Il y a des chiffres officiels avant, pendant, après… les français contestent les chiffres aussi. Il y a le côté socioglobal du chiffre. Sincèrement, c'est une question qui relève plus du politique que de l'histoire. C'est une question très politique. Si vous dites qu'il y a moins d'un million et demi de martyrs côté algérien, vous êtes un traître… c'est devenu politique. Du côté des français par exemple aujourd'hui, il y a toute une polémique qui pose la question du départ des pieds-noirs. Si vous dites qu'il n'y a pas un million qui est parti, on dit que vous êtes un ennemi de la France. Pareil pour les harkis, sur les massacres…», a confié l'historien et directeur des musées de l'immigration, Benjamin Stora. Il n'en dira pas plus, préférant reléguer les chiffres des martyrs de la révolution algérienne aux mains des politiques, aux mains des gouvernants, l'Algérie et la France et vice-versa. Benjamin Stora était frileux, comparant cette question à un piège et refusant d'y tomber. A sa rencontre initiée en marge des expositions du Salon international du livre d'Alger, l'historien, dont les ouvrages n'ont pu accéder au public et dans les librairies algériennes qu'à partir du début des années 2000, a préféré se limiter à un retraçage de parcours professionnel : le sien, pendant les quarante années qu'il a dédiées presque entièrement à un travail d'histoire, mais surtout de mémoire. Benjamin Stora est l'auteur du dictionnaire biographique des six cents acteurs principaux du nationalisme algérien édités en 1985. Un ouvrage qui traite de la guerre jusqu'au 1er novembre 1954. Benjamin Stora a déploré par ailleurs que ce Dictionnaire n'ait jamais été diffusé en Algérie. «C'est qu'en Algérie, il y a eu beaucoup de dictionnaires qui ont été diffusés, notamment après les années 2000, mais pas le mien qui est sorti il y a 30 ans. C'est dommage ! Même s'il est vrai qu'il y a quelques erreurs. il y a forcément des erreurs notamment sur le mouvement des ulémas…», a déclaré l'historien. Il est par ailleurs revenu sur le travail qu'il a réalisé sur le personnage de Ferhat Abbas. A ce propos, il a relaté la première partie de ses travaux confrontés à l'époque à des entraves pendant ses recherches dans les archives classiques et son itinéraire personnel et individuel. Cette première partie concernait, il l'a précisé, le nationalisme algérien politique. Il a rappelé, entre autres, que dans le contexte de l'époque, le travail biographique n'était pas très estimé dans le milieu académique. La préférence étant de travailler plutôt sur les grands systèmes idéologiques, sur l'économie, les grandes structures anthropologiques des sociétés… Le travail biographique était, selon l'historien, un travail mineur et pas très valorisant. Benjamin Stora est ensuite revenu sur la deuxième partie de ses travaux qui ont porté, en l'occurrence, sur l'immigration algérienne en France et en particulier à partir d'une thèse qu'il a écrite en 1991.