Loin d'être passéiste et sans prétention aucune d'être historienne, Fatéma Bakhaï interroge la parole profonde du terroir sans se lasser. Dans Izuran 1 et Les Enfants d'Ayye qui commence de la période néolithique à la chute de Grenade, elle ambitionne de mener ses personnages et leurs faits dans une grande épopée qui traverse les siècles. Elle bouscule le discours officiel, brise les tabous et raconte à l'envi l'histoire de nos ancêtres. Une histoire de bravoure, de gloire mais aussi de défaites. Elle évoque ce fonds culturel et ce substrat identitaire du peuple dont le credo reste cette quête éperdue de liberté. L'auteure prolifique a déjà signé d'autres romans enclins aux problèmes sociaux comme La Scalera, Un oued, une mémoire, Dounia, La femme du caïd. Elle s'initie au volet historique qui la préoccupe particulièrement pour réconcilier l'Algérien avec lui-même et avec son histoire. C'est sur la base d'archives qu'elle a conçu cette belle saga romancée. Dans cet entretien, Fatéma qui écrit actuellement la suite des Enfants d'Ayye dit la démesure d'une époque. Ecoutons-la. Le Temps : Pourquoi vous avez choisi Les enfants d'Ayye comme titre pour votre roman ? Fatéma Bakhaï : «Ayye» est le terme que l'on utilise dans les régions berbérophones pour désigner la grand-mère, la vieille dame que l'on respecte et que l'on affectionne. L'équivalent de «Nana» ou, en Occident, mamie, mémé. A Tlemcen, par exemple, le terme est resté sous la forme de «yaya», «aya»…Dans Izuran 1, le personnage qui correspond au passage de la préhistoire à l'histoire s'appelle Ayye. Ayye, c'est un peu notre ancêtre commun, symboliquement : Nous sommes tous, Algériens, les enfants d'Ayye… Cette histoire qui prend source avec l'invasion arabe et se termine avec la chute de Grenade a-t-elle une suite ? Je l'espère ! Je travaille actuellement sur la période qui suit la chute de Grenade. Les royaumes berbères avec les Zianides à Tlemcen, l'immigration andalouse, les incursions espagnoles, la course, la régence d'Alger, etc. J'espère bien mener les descendants d'Ayye jusqu'à la veille de la colonisation française. On verra bien ! L'important, c'est de comprendre comment et pourquoi la décadence. Mes personnages tenteront d'apporter des éléments de réponse. Je ne prétends pas faire œuvre d'historienne, loin de là, mais simplement raconter l'histoire d'une famille et par delà d'un peuple, donner des points de repère, dérouler un fil conducteur et partager des émotions. Izuran et Les enfants d'Ayye s'ils n'ont pas eu la presse espérée ont conquis un lectorat nombreux, le bouche à oreille a été efficace ! Les lecteurs ont d'abord été étonnés puis ont apprécié, semble-t-il. J'en reçois de nombreux échos. Une polémique est née que je n'attendais pas et qui me peine un peu : «Pourquoi un écrivain originaire de l'ouest du pays utilise-t-il un titre en tamazight !» C'est désolant mais on me pose toujours la question ! Par contre, les lecteurs qui lisent l'ouvrage sans a priori ont pratiquement tous la même réaction : «Ce livre m'a appris beaucoup de choses que j'ignorais sur ma propre histoire, il m'a réconforté…ou bien je vois les choses différemment depuis que je l'ai lu», c'est exactement ce que j'ai éprouvé après avoir fait mes propres recherches que je voulais partager ! Selon vous, l'avenir des jeunes en Algérie est-il incertain ? Pas plus que celui des jeunes du monde entier ! Nous entrons dans une ère de mondialisation encore chaotique basée sur l'injustice. L'affrontement Nord-Sud a déjà commencé. Nos jeunes sont dans une période de recherche, de questionnements. L'exacerbation du sentiment religieux s'explique par le désarroi, mais déjà on peut constater une remise en question, une appréhension plus pragmatique du quotidien. Nos jeunes entrent dans ce que j'appelle «la période d'accumulation». Il en va toujours ainsi. Une, deux, voire trois générations sont nécessaires. Produire et accumuler des richesses, bâtir et transmettre par tous les moyens même les moins délicats ! Ensuite seulement prennent de l'importance les choses de l'esprit, l'art, la culture. Mais tout peut aller très vite aujourd'hui. Nos jeunes ont besoin de repères, de modèles, de mise en confiance, d'éducation et de culture. Ils ont déjà l'essentiel : l'envie, le désir et les capacités mentales d'aller plus loin… C'est leur avantage sur les jeunes du Nord ! Mais c'est un long débat ! Votre avis sur internet, un outil de travail intéressant ou il sert à chatter ? Internet, mais c'est une révolution ! Un tournant ! Un peu comme la découverte de l'écriture dans l'histoire de l'humanité, plus que la mise au point de l'imprimerie ! Outil de travail bien sûr, de communication surtout ! Tout a déjà été dit, je ne pourrais que répéter les bienfaits d'internet et ses effets pervers aussi, car il y en a comme dans toute création humaine. L'écriture peut-elle changer le regard que l'on a sur la vie ? Bien évidemment ! Ce sont les idées qui font évoluer l'humanité. Les idées sont transmises par la parole et l'écriture est une forme de parole, un moyen de la conserver et de la transmettre. L'homme naît innocent et ignorant. Ce sont les idées qu'on lui inculque qui vont lui donner une vision du monde dans lequel il vit. L'écriture, du petit encart dans le journal au traité philosophique, des textes sacrés aux plus profanes vont immanquablement modeler notre vision des choses et de la vie directement ou indirectement ! Que pensez-vous de la cherté de la vie ? Je m'en désole bien sûr, mais sans aborder la conjoncture économique mondiale, ce serait trop compliqué, j'ai une petite anecdote : dernièrement, j'ai acheté de l'ail, je me suis aperçu en lisant l'étiquette qu'il était importé de Chine ! L'ail, le condiment méditerranéen par excellence ! Un scandale ! Si les Algériens travaillaient plus et mieux peut-être que le coût de la vie serait un peu moins élevé ! Entretien réalisé par