Nous sommes, chaque jour un peu plus, peinés de constater l'effondrement inexorable des cours du pétrole sans que l'on puisse faire quoi que ce soit. L'Algérie, pays rentier par excellence, au même titre que les monarchies du Golfe et quelques «amis» de l'Amérique latine, suit, la peur au ventre, la chronique déprimante de l'or noir qui s'approche dangereusement de la surface de… l'irréparable. Et elle ne peut, hélas, compter sur un geste de solidarité du cartel de l'Opep, dominé par les pétromonarchies qui ont visiblement d'autres priorités que celle de sauver un marché pétrolier en berne. Faut-il rappeler que la réunion de cette organisation le mois dernier à Vienne a été conclue en pleine asphyxie financière des pays producteurs par une décision de maintenir les vannes ouvertes… Il aurait suffi d'une révision à la baisse des quotas de production pour que les prix repartent à la hausse. Mais le royaume des Al Saoud et ses compères du Golfe ont décidé de laisser couler le pétrole à flots, quitte à creuser leurs propres déficits budgétaires qui se chiffrent en milliards de dollars. Il est alors difficile d'expliquer la chute vertigineuse des cours du brut par les seuls facteurs «physiques», c'est-à-dire la loi de l'offre et de la demande ou encore l'entrée sur le marché du pétrole de schiste américain. C'est que, entre le pétrole et la géopolitique, le mariage est déjà consommé depuis fort longtemps. La «géopolitique du pétrole» est devenue une discipline enseignée dans les universités. Que l'Arabie saoudite, le plus grand producteur au monde, accepte de brader son pétrole à ses risques et périls financiers est loin d'être un suicide économique. Dommages collatéraux Cette posture d'auto-flagellation s'explique par des enjeux géopolitiques dans la région du Moyen-Orient. Et le royaume semble livrer une bataille de vie ou de mort, surtout face au retour en grâce de l'Iran. Les atomes crochus avec l'Occident formalisés sous forme d'un accord sur le dossier nucléaire, donnent des sueurs froides aux Al Saoud. Ryad craint au plus haut point de perdre son leadership dans le Golfe au profit de l'Iran qui revient lentement mais sûrement dans les bras des Américains. Téhéran, qui bénéficie depuis hier de la fin des sanctions internationales, va pouvoir désormais vendre allégrement son pétrole. L'Arabie saoudite constate désormais les dégâts de sa stratégie moyen-orientale qui consiste à mener des guerres par mouvements terroristes interposés en Syrie, voire directement au Yémen. Le royaume semble échouer également – du moins à ce stade – dans sa stratégie de mettre à genoux l'ours blanc russe, le principal soutien du régime Al Assad. Le pays de Poutine souffre terriblement de la contraction de ses recettes pétrolières, au point d'envisager la vente de 19,5% de ses parts qu'il détient chez le géant pétrolier Rosneft pour compenser la baisse des recettes budgétaires. Mais il résiste bien aux coups fourrés venus d'Arabie, conscients que l'enjeu en Syrie vaut bien quelques sacrifices. Géopolitique du pétrole C'est dire à quel point cette guerre économique menée par la monarchie des Al Saoud et ses «petites sœurs» à la Russie a provoqué des dommages collatéraux chez ses partenaires de l'Opep. Il va sans dire que les Américains qui voient d'un mauvais œil l'entrée en scène de Moscou dans l'équation syrienne, apprécient le «grand sacrifice» de Ryad. Mais pas au point de céder sur l'accord avec l'Iran qui continue d'irradier les Saoudiens qui craignent que Washington ne leur signifie la fin de mission. Beaucoup de prospectivistes n'excluent pas en effet que les Etats-Unis changent leur fusil d'épaule. C'est connu, ce ne sont pas les amitiés qui structurent les relations internationales mais les intérêts stratégiques des grandes puissances. Et si cette guerre à distance entre Téhéran et Ryad, d'essence confessionnelle, ne préparait pas le terrain à un «Sykes-Picot» revu et corrigé ? Que l'arc chiite s'étende au-delà de son milieu naturel (Iran, Irak, Syrie, Liban, Yémen) ne gêne pas forcément les grandes puissances pour peu que la sécurité d'Israël soit préservée. Autant dire que les calculs des «pétromonarques» pourraient s'avérer terriblement contre-productifs d'un point de vue géopolitique. Et il n'est pas sûr qu'elles puissent trouver, à ce moment-là, des soutiens au-delà de leurs luxueux palais qui vont s'écrouler alors comme des châteaux de cartes…