Par cette matinée froide et parcimonieusement pluvieuse, le port de La Madrague s'éveille au regard de quelques promeneurs encore capables de s'émerveiller de la magie d'une mer agitée. D'habitude, c'est désert à cette heure de la journée mais, aujourd'hui, c'est différent. Le vent, humide et glacial, ne semble pas perturber ces hommes qui exposent leurs visages aux bourrasques comme une offrande consentie. Par intermittence, arrive sur le parvis une voiture dont on ne perçoit pas le bruit du moteur. Le son hégémonique du vent prend toute la place et les yeux, exclusivement tournés vers la mer endiablée, sont indétournables du ressac en perspective. Un jeune couple semble trouver son bonheur dans d'interminables confidences échangées dans leur voiture qu'ils n'ont visiblement pas l'intention de déserter. Dans ce port en crise de vocation, il subsiste encore un pan d'humanité à vivre avant la grande curée dont les stigmates sont visibles au petit matin à l'arrivée des promeneurs illusionnés. Des bouteilles, des canettes et de rares vestiges alimentaires renseignent sur l'infrahumanité nocturne des lieux et de leurs occupants. Et comme pour nous rappeler que la nuit peut se prolonger jusqu'à des horaires indues, l'homme est arrivé comme pour une mission de service commandé : ramener tout ce beau monde sur terre. Au confort de son véhicule et de sa tenue vestimentaire, on voit bien qu'il n'a pas de problèmes de fin de mois. Des problèmes de fin de mois, non. Des problèmes d'éducation, certainement. L'homme gare sa voiture près d'un quai où chuchotaient quelques pêcheurs indécis, ouvre toutes ses portières et entame le «boulot». L'homme travaille méthodiquement, avec une minutie presque touchante. C'est à croire qu'il faisait durer son plaisir. L'air content et la démarche sûre, c'est juste s'il n'invitait pas les quelques présents qui le regardaient faire sans broncher, à admirer l'étendue de son art. L'homme nettoyait sa voiture en la débarrassant de volumineuses ordures dont l'accumulation a été manifestement longue. Et il jetait sa merde à la mer, comme s'il ne pouvait pas en être autrement. C'est le cas, apparemment, parce qu'autour de lui, personne ne semblait s'en émouvoir outre mesure. La Madrague, autrefois et autrement vivable et «rêvable», remballe son ressac, sa bise glaciale, ses palabres de pêcheurs oisifs et ses chuchotements de jeunes câlins. En cette matinée miraculeusement arrachée à la sécheresse, La Madrague lorgne un autre destin à l'horizon d'une mer sans ordures. Sans les regards apeurés et les silences grandiloquents. L'homme est reparti sans la fiente de sa voiture mais avec la fiente de sa tête. Les autres continueront à regarder les vagues. Est-ce que la mer s'en accommodera ? Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.