«L'économie solidaire dans la wilaya de Tizi Ouzou : quelles possibilités pour en faire le grand atout ?» Tel est le thème d'un important colloque qu'organisera l'association Asalas, en partenariat avec l'APC de Yakouren au niveau de cette localité située aux limites territoriales entre les deux wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa. Prévu les 21 et 22 octobre prochain, un appel à contribution est d'ores et déjà lancé pour cette rencontre dont le thème s'impose. Dans la présentation de l'idée, les organisateurs du colloque écrivent : «En Algérie, après plus d'un demi-siècle d'efforts d'industrialisation, de modernisation et de développement basés sur une stratégie de croissance extensive, appuyée par une politique d'exploitation des ressources de plus en plus excessive, des signaux de détérioration avancée de l'environnement et des patrimoines et des crises multidimensionnelles aiguës n'ont pas manqué de se manifester et de s'aggraver au fil du temps, qui attestent de l'échec des politiques de développement appliquées jusqu'ici». Note d'espoir, les mêmes organisateurs ne désespèrent pas cependant. Ils écrivent encore : «Abandonnant les politiques à leur égarement et les scientifiques à leurs errements, la société civile de la wilaya semble avoir trouvé la voie salutaire : ici et là poussent des projets collectifs qui redonnent espoir et qui donnent à voir. Pour ce faire, ils mettent en exergue quatre principaux axes. En effet, ils estiment que dans la wilaya, «il y a présentement et essentiellement deux segments de l'économie solidaire qui évoluent parallèlement : l'économie solidaire portée par les structures traditionnelles (comités de village) et l'économie solidaire portée par les structures modernes (associations, mutuelles, coopératives)». Explication : «La première, malgré des résultats incontestablement positifs et prometteurs qu'elle fait valoir sur le plan organisation territoriale et gestion de services collectifs et de biens communs à l'échelle villageoise (Iguersafen, Zouvegua, Tifilkut), il ne reste pas moins qu'elle se montre, du moins à l'état actuel, incapable de faire clore des activités relevant de la logique d'entrepreneuriat collectif (entreprises économiques d'offre de biens et services). La seconde, bien qu'elle ait l'avantage du nombre d'acteurs constitutifs, semble être incapable de générer des activités référentielles pouvant faire cas d'école, tant elle fonctionne en contrariant les théoriquement entendus et les pratiquement attendus». Territoire et territorialité C'est pourquoi, estime-t-on encore, il y a nécessité impérieuse de comprendre «le pourquoi de cela» et que «ce constat introduit l'urgence de réinterroger (nos) méthodes d'approche de l'économie solidaire : s'agit-il de déviations de la part des acteurs sociaux ? Dans ce cas, il faut peut-être instruire les acteurs des pratiques, principes et méthodes universels de l'économie solidaire, ou de biais méthodologiques. Et ici se pose la nécessité de forger des concepts appropriés pour saisir une réalité spécifique». Ce colloque revêt déjà une importance capitale tant il pose des questions de fond. Ces mêmes questions peuvent, ou plutôt doivent être posées et surtout avoir des réponses. Parmi ces questions de fond, celle relative à la nécessité de «rompre avec les solidarités mécaniques parce que archaïques». «Faut-il plutôt régénérer les solidarités traditionnelles parce qu'elles seules peuvent revitaliser les sociétés locales ?» se demande-t-on, ou encore comment faire pour «doter ce territoire de l'essentiel manquant : une reconnaissance politique, un cadre juridique et des monnaies locales spécifiques ?» Le défi du développement local face à l'exigence de territorialité et de durabilité sera aussi posé à l'occasion. Il est attendu que les spécialistes qui y participeront puissent apporter des réponses à ces questions fondamentales. Premier constat à ce propos : «La première déviation développementaliste régnante est cette vision parcellaire qui est en œuvre aussi bien dans la recherche théorique que dans les actions de sa mise en œuvre pratique. Cette conception par domaines séparés, en plus de ses limites révélées par l'approche systémique, ne manque pas de générer des tensions : conflits de compétences, opposition de regards, dissymétrie de mise en œuvre «et que le développement territorial ne se décrète pas, il se construit pas à pas, ne se fait pas à partir de rien et c'est toujours un existant qui devient. Il est donc important de substituer au concept de territoire, qui renvoie à un Etat, le concept de territorialité». Pour la deuxième déviation, on estime que dans la wilaya, «on réduit le développement à la création d'infrastructures, d'emplois ou d'entreprises, alors que, avertissent les spécialistes, la croissance n'est pas la voie sûre vers le développement». Selon Gorz, signalent les organisateurs, «la croissance n'améliore (même) pas substantiellement la situation des sociétés locales, et le développement n'en est pas un s'il n'est pas durable, c'est-à-dire s'il n'est pas à la fois économiquement viable, socialement équitable et écologiquement responsable». Et le tourisme solidaire... «L'idéologie territoriale et le substrat économique local sera également un autre point à décortiquer lors de ce colloque. «Les vagues du socialisme et du libéralisme qui ont provoqué l'étouffement de l'économie locale et l'éclipse progressive de l'idéologie territoriale ont généré les désillusions de la société par rapport au bonheur promis par l'économie de marché et la sécurité promise par la logique étatique». C'est pourquoi on «voit dans ce territoire l'ancienne idéologie territoriale souffler à nouveau qui fait renaître avec elle le substrat économique local (festivals économiques, volontariat pour projets d'utilité collective, renaissance d'activités artisanales)». Plus loin encore, et pour développer le point lié au patrimoine vernaculaire pour un tourisme équitable et solidaire, les organisateurs estiment qu'il est aujourd'hui «admis par tous que le tourisme culturel et solidaire, qui «participe de la création ou du développement d'activités économiques collectives et ouvre de nouvelles perspectives de développement rural mariant rationalité interprétative et utilité sociale». Cependant, le tourisme solidaire «appelle une autre façon d'être territorial». Explication : «d'abord, le touriste recherche ce qui est spécifique au territoire (artisanat, architecture, gastronomie). Cette façon d'être est à réinventer dans la wilaya». Ensuite, le tourisme solidaire «s'appuie essentiellement sur la société plutôt que sur des infrastructures touristiques spécifiques», d'où «l'importance des valeurs sociales favorisantes (hospitalité, confiance, communication interpersonnelle, inter-culturalité) qui, elles aussi, sont à reconstruire». De là découle la question relative à la démarche pratique : «n'est-il pas plus efficace d'opter pour des actions spécifiques aux territoires selon leurs potentialités (faire revivre la gastronomie locale et l'agriculture rurale pour un agrotourisme, préserver et mettre en valeur les écosystèmes pour un écotourisme, faire revivre les patrimoines architecturaux et artisanaux pour un tourisme patrimonial) et des actions plus globales (l'image, la communication et le marketing territoriaux, l'éducation à la citoyenneté, la constitution de communautés de communes selon la proximité géographique et les complémentarités touristiques) ? N'est-il pas urgent de redonner de la considération aux artisans, potières et personnes âgées, ces sans voix du territoire qui ont dans leurs sang, mains, mots et mémoire les patrimoines du terroir ? N'est-il pas plus pertinent de commencer avec des territoires pilotes (il suffit peut-être pour la région de Yakouren, par exemple, de faire un travail de sensibilisation, de construire des auberges de jeunes) ?» Enfin, il est attendu de ce colloque des résultats qui «puissent servir de levier d'actions collectives en multipliant, par la recherche-action des halos de forces vives».