Le décès de deux médecins internes du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Sétif, mardi, dans un accident de la circulation, à Larbaâtache (Boumerdès) alors qu'ils effectuaient une évacuation vers Alger, a déclenché la colère au sein du corps médical. Aussitôt l'information relayée par les médias et à travers les réseaux sociaux, un vent d'indignation s'est vite propagé à travers différents établissements hospitaliers du pays. Des appels à sanctionner les responsables en charge de ces résidents, à la protestation, au refus de «l'exploitation», à l'ouverture d'une commission d'enquête et à l'intervention du ministre de la Santé ont fusé de partout. Les collègues des deux victimes Nabil Chérifi et Hafidha Sellami du service de pédiatrie du CHU Saâdna-Mohamed Abdennour ont tenu, hier, un rassemblement en guise de dernier hommage, mais aussi de protestation contre «les conditions de formation» dans leur établissement. Une cérémonie de dernier regard a eu lieu aussi à la salle des activités médicales et paramédicales de la même structure sanitaire dans un climat de deuil. La veille, soit mardi, à l'annonce de la triste nouvelle, les mêmes médecins internes ont organisé un sit-in de protestation, où ils ont appelés «à sanctionner les responsables du service». Sur les réseaux sociaux, des groupes de médecins, tout en appelant «à introduire devant la justice les professeurs chefs de service», s'interrogent sur le «phénomène» d'évacuation de malades assurée par des internes alors qu'ils ne sont pas habilités à le faire. Des «étudiants» en fin de cycle dans une ambulance… Effectivement, ces derniers étant en période de stage, ils ne doivent en aucun cas sortir de l'hôpital pour de telles missions. L'instruction n°007 du 3 septembre 2006, du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, annulant et remplaçant l'instruction n° 3 du 18 avril 1998, fixant les conditions d'évacuation de malades est on ne peut plus claire. «Les personnes composant les équipages des véhicules spécialement adaptés au transport sanitaire» sont identifiées, dans l'article 6, comme appartenant aux catégories de «praticien médecin spécialiste, d'infirmier diplômé d'Etat, d'auxiliaire médical en anesthésie réanimation, d'infirmier breveté, d'aide-soignant et de titulaires du certificat de capacité d'ambulancier ou de brancardier». De ce fait, le médecin interne qui, en réalité n'est qu'un étudiant en septième année, ne portant aucun diplôme ni qualification, n'est pas sensé assurer une évacuation d'urgence. D'ailleurs, «en cas de complications chez le patient évacué, le médecin interne n'a pas tout le savoir-faire pour intervenir en cours de route», explique un médecin résident du CHU de Mustapha Pacha. Et comme il y a souvent risque de décès du malade en cours d'évacuation, «un médecin interne ne doit pas assumer une telle tache». L'arbre qui cache la forêt Qui a donc pris le risque d'envoyer des «médecins-stagiaires» dans une ambulance de Sétif vers Alger (300 km) ? Les deux médecins victimes pouvaient-elles refuser cette mission ? Ou encore, quelles auraient été les conséquences sur leur parcours professionnel s'ils avaient refusé ? Autant de questions qui trouvent leurs réponses dans la situation que vivent les médecins internes à travers tous les établissements de santé du pays. «Pas qu'à Sétif», témoignent des concernés. Ce drame n'est que l'arbre qui cache la forêt. «Les chefs de service à travers tout le territoire national utilisent le besoin de réussite du médecin interne comme moyen de chantage pour l'exploiter dans d'autres tâches sans relation avec sa formation», dénonce un groupe de médecins internes sur sa page Facebook. Ceci se passe «avec la complicité des responsables d'établissement de santé, mais aussi du ministère qui ne fait pas preuve de contrôle», ajoute-t-on de même source. De peur que leurs rapports de stage ne soient pas signés par le professeur-chef de service, ce qui signifie qu'ils n'auront pas de diplôme, les médecins internes obéissent généralement à leurs «bourreaux» sans poser des questions, témoignent plusieurs praticiens. L'exploitation va au-delà des évacuations, «pour des taches de services, notamment les gardes de nuit, en l'absence parfois du résident», raconte un médecin du CHU de Tizi Ouzou. L'indifférence du ministère de tutelle Quarante-huit heures après ce drame, le département d'Abdelmalek Boudiaf n'a toujours pas réagi. Aucune déclaration ni réaction, encore moins une sanction contre les responsables de cette faute professionnelle. Comme si l'instruction n° 007 du 3 septembre 2006 ne portait pas l'en-tête du ministère de la Santé ! Le ministre a préféré mardi assister à une cérémonie en l'honneur des femmes. «Monsieur le ministre, vous auriez dû être auprès des familles des victimes pas à une réception folklorique ! Les morts ont un visage», peut-on lire sur la page des médecins internes. Enfin, des appels à la solidarité et la mobilisation sont diffusés afin de pousser le ministère à intervenir et pour que cessent «l'exploitation» dans les hôpitaux.