L'affaire de Chakib Khelil et les déclarations des patrons du FLN, Amar Saâdani, et du RND, Ahmed Ouyahia, accusant ouvertement la justice d'avoir été instrumentalisée contre l'ancien ministre, remettent gravement en cause l'indépendance du pouvoir judiciaire. Quel crédit reste-t-il alors à la justice lorsqu'elle obéit dans ses décisions aux ordres politiques ? Si certains juristes de renom ne veulent pas s'exprimer sur la disqualification du système judiciaire à la lumière de l'affaire Chakib Khelil, préférant «ne pas mettre le couteau dans la plaie» ou «laisser le puits avec son couvercle», d'autres n'hésitent pas à évoquer «une situation catastrophique» atteinte par la justice. «En réalité, ce n'est pas les déclarations de Saâdani ou d'Ouyahia qui discréditent la justice mais ce sont ses propres agissements qui l'ont fait», estime l'avocat et militant des droits de l'homme, Salah Dabouz. Contacté par nos soins, Me Dabouz ajoute que «la justice algérienne est devant une situation catastrophique», regrettant le fait qu'Ahmed Ouyahia, «qui était lui-même ministre de la Justice, s'attaque à cette institution pour défendre et protéger un ami». Notre interlocuteur affirme que la justice est souvent manipulée et qu'elle n'est pas indépendante. «C'est la composante du Conseil supérieur de la magistrature qui le prouve», a-t-il argué. Dans le cas de Chakib Khelil, la justice est traînée dans la boue de manière «scandaleuse» et «carnavalesque». «Pour qu'il y ait un mandat d'arrêt, il faut un dossier lourd avec des charges. Aujourd'hui, ils disent qu'il y a même pas de dossier», s'étonne-t-il, déplorant qu'aujourd'hui, «il n'y a aucune honte à instrumentaliser la justice». La justice doit-elle s'expliquer sur l'affaire pour au moins sauver les apparences ? «La justice ne peut pas sauver les apparences. Il faut sauver le pays par un changement du régime politique pour instaurer un système démocratique», répond Salah Dabouz. Le devoir d'expliquer Pour sa part, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (Cncppdh), rattachée à la présidence de la République, estime que la justice doit expliquer ce qui s'est passé. «La justice doit donner les explications qui s'imposent sur ce qui s'est passé», a-t-il dit. Joint hier par téléphone, Me Ksentini ajoutera que «c'est un devoir pour la justice, qui est une institution nationale publique, de donner des explications», car, a-t-il expliqué, «l'opinion publique a le droit d'être informée». «Il faut rétablir la vérité», a-t-il plaidé. Cela étant, le président de la CNCPPDH n'est pas de ceux qui pensent que la justice est disqualifiée par l'affaire Khelil. «Peut-être, il y a des erreurs ou des maladresses en ce qui concerne l'affaire de Chakib Khelil. La justice peut se tromper. C'est naturel. Mais s'il y a erreur, il faut le reconnaître», a-t-il dit, précisant qu'il ne peut pas se permettre de parler de l'affaire de l'ancien ministre pour la simple raison qu'il n'a pas vu le dossier. Toutefois, notre interlocuteur constate que l'affaire est politisée. «Lorsqu'une affaire est politisée, elle devient difficile et compliquée», a-t-il affirmé, tout en refusant de remettre en cause l'indépendance de la justice. En tout cas, le dossier de Chakib Khelil a commencé à prendre des dimensions politiques depuis l'installation d'Amar Saâdani à la tête du FLN le 29 août 2013. Ce dernier a entamé l'opération en demandant à l'ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, d'extirper le nom de Khelil du dossier s'il voulait garder son poste au sein du gouvernement. Saâdani s'est occupé ensuite d'attaquer le défunt DRS et son ancien chef, le général Toufik, accusé d'avoir préfabriqué le scandale Sonatrach. Après la dissolution du DRS, Amar Saâdani s'est attelé à réhabiliter Chakib Khelil promis déjà à une fonction étatique supérieure.