Le livre en langue amazighe demeure très peu visible. Des efforts ont été pourtant consentis depuis quelques années pour sa promotion. Et ce n'est pas les salons du livre, les séminaires et les foires qui manquent. Mais le livre en langue amazighe peine toujours à arracher la place qui lui sied. S'ajoute à cela un intérêt très timide du lectorat pour les œuvres éditées dans cette langue. Il faudrait peut-être compter sur l'introduction de tamazight dans le système éducatif et l'officialisation de cette dernière, effective depuis février dernier à la faveur de la révision constitutionnelle, pour espérer à l'avenir un essor pour l'édition amazighe. D'ici là, les contraintes et les difficultés encore pressantes dans ce domaine doivent être surmontées. Elles sont nombreuses. «Le livre en tamazight dans l'édition est le parent pauvre tout comme la poésie l'est pour la littérature. La transcription de tamazight n'étant pas définie, chaque éditeur - et ils sont rares - adopte celle qui sied à ses convictions», déplore Assia Baz, directrice des éditons Anep. Pour notre interlocutrice, en plus du problème de la transcription, il y a le peu d'engouement des éditeurs à investir ce créneau. «L'intérêt de la publication des ouvrages en tamazight est avant tout culturel. Il faut d'abord redonner la place qu'elle mérite à cette langue ancestrale», estime-t-elle tout en avouant que «le peu d'éditeurs qui investissent ce domaine le font par passion», car, ajoute-t-elle, «le livre, en règle générale, est confronté au problème de distribution, donc au manque de librairies sur le territoire national. Et c'est un travail acharné qui ne fait pas vivre son homme». Interrogée sur le genre de livre qu'on peut trouver sur le marché, Assia Baz parle d'un choix encore très limité. Pour la directrice de l'Anep, «les éditeurs d'ouvrages amazighs travaillent surtout dans le patrimoine et la sauvegarde de l'entité, donc publient des récits, de la poésie amazighs traduite en français ou en arabe. Les contes pour enfants commencent, par contre à émerger avec le travail de traduction». Comment peut-on promouvoir le livre amazighs ? «Je suis pour une approche où tous les secteurs doivent s'investir pour la promotion de la lecture et de notre patrimoine. Le reste suivra automatiquement (éducation, tourisme, solidarité, culture...)», soutient Assia Baz. Pour le journaliste Amar Ingrachen, à la tête d'une jeune maison d'édition Frantz Fanon», le problème réside précisément dans le peu d'intérêt accordé à la lecture de manière générale. «Identité et combat politique», des thématiques peu séduisantes ? «La lecture est un phénomène presque marginal dans notre société. Notre tradition orale subsiste encore et fait que, même dans les universités, le lectorat n'est pas très important. Ceux qui lisent font partie, pour la plupart, de l'ancienne génération de lettrés. Les familles de ces derniers ont petit à petit intégré le collège du lectorat algérien. Mais, cette catégorie de lecteurs est essentiellement arabophone et francophone», estime-il. Pessimiste ? Notre jeune éditeur reconnaît que le livre en langue amazighs commence depuis quelques temps à émerger. «Des livres sont publiés en tamazight et le lectorat amazighophone commence à peine à voir le jour. Mais la non-attractivité des thématiques traitées (identité, cause amazighs, combat politique… n'encouragent pas les quelques curieux qui existent», regrette-t-il. Pour lui, le développement du livre amazighs est indissociable du développement des départements de langue et culture amazighs. Le même diagnostic a été fait par El-Hachemi Assad, secrétaire général du Haut-Commissariat à l'amazighité. Joint par téléphone, notre interlocuteur reconnaît que la timide édition du livre amazighs et liée avant tout au lectorat. Mais, affirme-t-il, au niveau du HCA, beaucoup d'efforts ont été faits pour la promotion de l'œuvre amazighs dans toutes ses variantes. «Nous avons entamé un travail de fond en plusieurs étapes. Nous avons un stock considérable de manuscrits déposés au H-CA et qui attendent l'édition. Par souci d'efficacité, nous avons pensé à l'institution d'un comité de lecture pour sélectionner les œuvres à éditer ; roman, nouvelles, œuvres historiques. Nous sommes partis du principe qu'en plus de la quantité, il y a la qualité qui devrait caractériser ces œuvres. C'est pour cela que nous avons réfléchi également à mettre en place un jury en vue d'atteindre ce saut qualitatif», a indiqué El-Hachemi Assad. Notre vis-à-vis a, par ailleurs, mis le doigt sur le problème de distribution qui demeure une sérieuse contrainte pour la diffusion du livre. Une solution est, selon lui, possible. Le H-CA, fait-il savoir, mise sur la coédition. C'est un excellent moyen de réussir le challenge de la distribution et la démocratisation du livre de manière générale, a-t-il estimé en évoquant quelques expériences déjà existantes avec, entre autres, les éditions privées Thira de Béjaïa, Anzar de Biskra, Mehdi de Tizi Ouzou ou encore avec les éditions publiques Opus et Anep. La promotion du livre amazighs si elle n'est pas à son plus haut niveau, elle est tout de même une réalité, insiste El Hachemi Assad. «D'autres méthodes sont possibles. La traduction se trouve être un excellent vecteur de promotion. Conscient de cette méthode stratégique, au H-CA nous avons investi ce segment avec le soutien du ministère de la Culture. C'est un travail de fond et de longue haleine certes mais nous sommes déjà sur le terrain et les résultats commencent déjà à se faire ressentir», a-t-il affirmé, optimiste.