Le pari a été réussi, voire dépassé toutes les espérances. C'est que cette 3e édition du salon du livre de Boudjima, évènement qui a grandement mûri sur tous les plans, a transformé cette localité, depuis jeudi dernier, en un véritable carrefour où ont convergé de grands noms de la littérature, du microcosme artistique, d'éditeurs et de jeunes écrivains etc. Une occasion où le livre a été mis à l'honneur dans toute sa grandeur. Ce livre qui nourrit et éclaire l'esprit, bannit l'oubli et transmet les connaissances aux générations futures. Depuis jeudi donc, et quelques minutes seulement après la baptisation de la bibliothèque communale au nom de l'illustre Mohia, en présence de ses trois frères et loin de tout tintamarre, le maire de cette commune, en l'occurrence M. Smail Boukerroub, a donné le coup d'envoi de cette troisième édition ; il est la véritable cheville ouvrière de cette manifestation, organisée avec la collaboration d'associations locales et de l'association «Un livre, une vie» de Dijon que dirige l'infatigable Assia Yacine. Questionnée à propos du salon, Assia Yacine dira fort : «Ce salon me donne de l'espoir. Il révèle que quelque chose a été fait depuis qu'on a démarré ; le livre va retrouver sa place et les gens vont à nouveau s'intéresser au savoir, à la science. Nous sommes très contents de ce partenariat extrêmement dynamique avec une mairie qui a mis la culture au centre de ses préoccupations. Nous aimerions que toutes les mairies d'Algérie puissent comprendre que sans savoir, il n'y a point de salut». De son côté, Smail Boukheroub qui veille au bon déroulement de cette manifestation n'a pas caché sa satisfaction de voir ce salon susciter de l'intérêt, mûrir au fil des éditions, se faire un nom, lui qui l'a «langé» pour ainsi dire afin qu'il grandisse. Un salon «langé» comme un bébé Boudjima sort donc de sa léthargie et dédie tout au livre, à la culture, à l'instruction. Ce salon a été enveloppé comme un bébé. Aujourd'hui, il a grandi et n'a rien à envier aux autres manifestations du genre. Il a accueilli sans protocole et sans grand bruit de grands noms de la littérature et ce, après d'intenses préparatifs menés à bout sans grands moyens. Cette manifestation littéraire de haute facture a été, comme l'a souligné Mme Yacine dans son préambule de présentation, une occasion «de retrouver chacun et collectivement le chemin des valeurs universelles et contrer la violence, l'intolérance et redonner élan et raison d'espérer. Un front solide, joyeux et insolent qui contredit l'ignorance et la régression, qui chante la vie». Des expositions de livres portant sur plusieurs thèmes, littérature, sciences, arts, des ventes -dédicaces ont été agrémentées par des communications de haut niveau où l'esprit critique et constructif a prévalu. C'est que les conférenciers ont lancé le débat sur plusieurs thèmes qui restent encore à défricher, à développer, à enrichir. Des conférences de haute facture C'est Saïd Chemakh qui a eu l'insigne honneur d'inaugurer le cycle de conférences qui ont fait venir à Boudjima de nombreux professeurs de littérature, notamment de l'université Mouloud-Mammeri, qui ont animé des débats d'un niveau intellectuel dont la barre a été placée très haut. Le tout modéré par l'infatigable Ferroudja Ousmer qui a déployé des efforts titanesques pour faire de ces conférences des moments de foisonnement littéraire et linguistique. Des moments pour apprendre et se laisser aller dans le vaste monde de la littérature. D'autres noms ont eu à décortiquer durant la première journée bien des thèmes, comme Omar Fetmouche qui a emporté son auditoire dans le monde du théâtre en parlant de l'adaptation. Il a été relayé par Rachid Oulebsir qui a développé le thème «Aux origines du théâtre kabyle ; para théâtre et jeux de masques dans le rituels cosmogoniques kabyles». La deuxième journée (vendredi) a été particulièrement riche. C'est d'abord Arezki Metref qui a fait découvrir au large public Apulée de Madaure. Pour Ferroudja Ousmer, «parler d'Arezki Metref est une exercice sacrement difficile, car c'est un homme qui marche dans sa tête. Le suivre vous donne le tournis». La conférence sur Apulée a été un véritable régal pour l'auditoire. Aussitôt fini, des enseignantes universitaires venues en masse, dont Malika Boukhelou, très rompue à ce type de manifestation, ont mis en valeur la portée d'Apulée considérée comme «une mine d'or pour les auteurs contemporains». La renommée d'Apulée (en latin Lucius Apuleius, en berbère Afulay, né vers 123 à Madaure, actuelle M'daourouch, wilaya de Souk-Ahras), lui vient de son chef-d'œuvre, le roman latin Métamorphoses, également connu sous le nom de «L'Âne d'or», qui a sa place dans la littérature mondiale. Les participants aux débats ont tous plaidé pour qu'il soit enseigné à l'école et mis en exergue la notion de l'universalité de ses œuvres qui ont pourtant été inspirées localement. Il ne fallait pas plus qu'une forte dégression après des débats passionnés sur ce sujet. C'est Noureddine Aït Slimane qui viendra le faire superbement avec sa déclamation de la poésie de Mohia à qui cette édition est dédiée. Avec «sa voix chaude et grave, telle l'arome du café qui titille les narines», Noureddine, comme l'a décrit la modératrice, et avec «dextérité et parcimonie», a su transporter le public dans un autre monde. Il commencera par déclamer un poème de Ben Mohamed, Yemma, qui a tétanisé l'auditoire. Place ensuite à Saïd Sadi, qui occupera le pupitre dans une salle qui ne pouvait contenir l'assistance et parler de son livre L'Algérie, l'échec recommencé, édité en 1991 et réédité récemment et qui a comme thème central le printemps berbère de 1980 et dont il a été l'un des principaux acteurs. L'occasion était aussi de parler de l'actualité politique nationale, de la situation de tamazight, de géopolitique. Saïd Sadi qui s'adressait à un auditoire qui l'écoutait religieusement dira d'emblée : «Il est vital que les jeunes sachent ce qui s'est passé en avril 1980», car «fondamentalement, c'est la falsification de l'histoire ancienne et actuelle qui nous a conduit à la situation actuelle». Si certains misaient sur le fait de voir Saïd Sadi dresser seulement un tableau sombre de la situation, il fallait compter sans une autre vision qu'il voulait pleine d'espoir pour tamazigh. Il dira en substance : «Il y a un mouvement de vérité qui est en train de se mettre en place, de germer et de s'étendre». Pour étayer ses dires, il citera l'intérêt porté à la communication d'Arezki Metref qu'il avait suivie en disant : «Lorsqu'on fait une conférence sur Apulée et Madaure à Boudjima, cela veut dire qu'il y a toute une dynamique qui vient d'être enclenchée». Il parlera ensuite longuement du 20 avril et de la pression qui se faisait sentir à cette époque, avec la terrible répression. Il dira également : «Avril 1980 était tout sauf un mouvement de colère. Il a été mûri au moins pendant une quinzaine d'années. Il a fallu beaucoup de patience et de discussions pour que la culture du pacifisme devienne opérationnelle». L'ex-président du RCD fera aussi le tour de l'actualité politique en parlant tour à tour de la nouvelle Constitution, du statut de tamazight qu'il qualifiera de pléonasme, de la graphie de la langue dont il défendra l'écriture dans les caractères d'alphabet international et de l'arabisation. Il dira à ce propos : «Aucun Algérien n'a tété l'arabe classique du sein de sa mère», avant d'ajouter que «l'arabisation est conçue pour aliéner le peuple et reproduire le système et non pas pour cultiver le peuple». Durant l'après-midi d'hier, Boudjima devait recevoir Amine Zaoui et Youcef Merahi pour parler de «la traduction littéraire» et Hend Sadi de «l'officialisation de tamazight». Le tout devait être clôturé avec une animation artistique par la célèbre troupe Debza. A la prochaine édition.