La ville de Souk Ahras vient d'abriter, du 30 mai au 1er juin, un colloque international consacré à Apulée de Madaure et organisé par le Haut commissariat à l'amazighité (HCA). Les participants à cette grande rencontre sont venus de différents horizons pour croiser leurs regards sur la vie et l'œuvre de cet érudit hors pair. Son roman, L'âne d'or ou Les Métamorphoses, a suscité beaucoup de débats et d'approches novatrices. Mais, de prime abord, la question qui s'est posée parmi le nombreux public était de savoir si ce roman existait sur le marché national ? Il existe une édition algérienne de cette œuvre, datée de 2009 et initiée par les éditions L'Odyssée (Tizi Ouzou). Le reproche que l'on pourrait lui adresser est d'avoir livré le texte «nu», soit sans appareil critique. Le lecteur n'y trouve aucune présentation de l'auteur, de l'époque et de l'œuvre. L'absence de préface et/ou de postface nuit à la qualité du texte, car il est placé sur le même pied d'égalité qu'un quelconque roman. Pour leur part, les intervenants, à travers la fréquentation assidue de ce texte fondateur, ont creusé au-delà de toute espérance pour restituer à cette œuvre sa véritable place dans l'histoire littéraire universelle et, par la même occasion, son apport aux écrivains à travers les siècles. «L'âne d'or ou Les Métamorphoses», premier roman au monde a été une matrice prolifique qui a irrigué les littératures du monde. C'est dans ce sens qu'Arezki Metref, premier intervenant, a voulu rappeler à l'assistance la genèse de ce colloque à partir d'un reportage journalistique effectué dans la région de Madaure (Ndlr : aujourd'hui M'daourouch, wilaya de Souk Ahras) qui avait trouvé un écho favorable auprès du HCA. Les influences que l'on retrouve par exemple chez Miguel de Cervantès à travers Don Quichotte confortent les chercheurs dans la parenté avec cette œuvre fondatrice universelle. Mais pour comprendre le génie littéraire d'Apulée de Madaure, il faut s'immerger dans son environnement et son univers socio-culturel. Le professeur Saïd Dahmani de Annaba a établi le lien avec «la civilisation numide-amazighe». Tout cela pour dire qu'Apulée de Madaure est enraciné dans un terroir numide et que, même s'il écrivait en latin, son âme est restée très imprégnée par sa terre et sa culture. D'autres intervenants ont rappelé par ailleurs quelques éléments biographiques d'Apulée de Madaure et son amour des voyages et du savoir. Il a toujours été considéré comme un lettré au destin singulier. Apulée a été élevé dans un environnement propice à la curiosité et à l'éveil des sens à l'égard des choses culturelles. Son père, acteur important de la vie politique locale, lui laissera un héritage appréciable. Le jeune homme utilise ces fonds pour voyager et parfaire sa formation déjà bien établie à Madaure. La première destination, qui semble incontournable pour un Africain du Nord de cette époque, est Carthage. Dans cette Cité-Etat, Apulée prend des cours de rhétorique, matière très prisée. En parallèle, il découvre la philosophie dans la capitale punique. L'initiation à cette matière basée sur la réflexion et des questionnements profonds le poussent à se rendre à Athènes pour approfondir ses connaissances. Ces longs séjours entre Carthage et le monde hellénique portent préjudice à sa fortune qui commence à décliner. Mais le grand périple continue pour Apulée et le mène à Rome. Son intense activité intellectuelle lui donne confiance et il décide de monnayer son savoir. Il enseigne d'abord le latin avant d'exercer comme avocat. Mais ses différents emplois ne lui procurent pas la prospérité attendue. Habité par le doute et les errements de la précarité, il commence à écrire Les Métamorphoses, ouvrage où il évoque des fragments de sa vie. Apulée raconte le chemin emprunté vers la rédemption. Il explique que, dans sa jeunesse, il a abusé des plaisirs de la vie avec insouciance et frénésie. Il décide de se réinstaller à Carthage, loin du vacarme et des tentations romaines. Il considère ce retour au bercail comme indiqué à la pratique de son savoir. Mais le démon du voyage ne tarde pas à le reprendre. En route vers Alexandrie, il fait escale à Oea, site de l'actuelle ville de Tripoli en Libye, où il rencontre un ancien condisciple d'Athènes. Son camarade d'études lui permet de faire valoir en public son éloquence et ses talents de grand orateur. Et, c'est le début de la gloire tant souhaitée par Apulée. Ses interventions plaisent et son escale de quelques jours se mue en un séjour de plusieurs mois. Il convole même en justes noces avec la mère de son ami libyen, plus âgée que lui. Cette union suscite les sarcasmes et les doutes sur les intentions du jeune Apulée. Les enfants de sa femme l'accusent d'avoir usé d'artifices magiques pour séduire la pauvre femme. Les lois romaines punissent lourdement la pratique de la magie. Il se présente devant des juges pour plaider son innocence. Son aisance et sa connaissance des rouages judiciaires en tant qu'avocat favorisent son acquittement. Pour leur part, Emmanuel Plantade de l'Université de Lyon et Youssef Necib, ancien professeur à l'Université d'Alger, ont montré comment le conte de Psyché s'est inséré dans la littérature orale amazighe pour se décliner en une multitude de versions où Cupidon prend différents noms. Cette filiation confirme que la longue chaîne n'a pas été rompue entre un passé mythique et un déjà-là qui se réapproprie un patrimoine en péril. Il faut rappeler par ailleurs que les chroniqueurs français du XIXe ont tenté de récupérer Apulée (et d'autres) pour l'instrumentaliser et justifier la présence française en Algérie. La colonisation a été présentée comme la poursuite de l'œuvre romaine en Algérie par la France et le génie littéraire d'Apulée comme un indice de la possibilité d'assimiler les Algériens et même de les franciser. L'universitaire américaine, Sonia Sabnis, a traité de l'espace dans le roman d'Apulée et de son positionnement géographique quand il se définit mi-Gétule, mi-Numide. Le dernier jour du colloque a permis d'aborder, entre autres, les problèmes posés par la traduction du roman d'Apulée au tamazight. Les traducteurs sont unanimes pour affirmer qu'il faut traduire à partir de la langue originale, à savoir le latin. Mais, actuellement, cette langue n'est pas enseignée au Maghreb et sa maîtrise relève de la gageure. Habib Allah Mansouri, inspecteur de l'éducation ayant à son actif plusieurs œuvres traduites en tamazight, comme Le Petit Prince et des œuvres écrites en arabe, a plaidé pour l'impérieuse nécessité de traduire l'œuvre majeure d'Apulée. L'intervenant a déjà entamé ce travail et a même trouvé le titre du roman, à savoir Thinfleghiwin (Les métamorphoses). L'universitaire marocain, Abdelwahab Bouchtart, a abondé dans ce sens et, pour exposer sa manière de traduire Apulée au tamazight, il s'est appuyé sur des exemples concrets. En effet, rendre accessibles des œuvres de cette envergure dans les langues pratiquées en Algérie et au Maghreb serait un acte intellectuel salutaire. Enfin, l'universitaire tunisien, Njim Adel, a suscité une grande polémique avec une intervention intitulée «Identité onomastique africaine antique», où il a tenté de trouver, par une démarche un peu biscornue, une similitude entre le nom «Apulée» et le prénom arabe «Abou Leïth». Ses arguments anachroniques n'ont pas convaincu l'auditoire. En marge du colloque, le HCA a présenté au public l'ensemble de ses publications qui viennent d'atteindre les 200 titres entre revues, dictionnaires, romans et ouvrages didactiques. Cette activité place cette institution comme l'un des acteurs dynamiques de la vie éditoriale en Algérie. Le théâtre régional de Souk Ahras a profité de la tenue du colloque pour présenter l'avant-première de la pièce intitulée, Les Métamorphoses, dans une version contemporaine qui s'apparente à une comédie musicale. Le public très nombreux a apprécié le clin d'œil au film-culte West Side story, avec un Apulée voyageant de ville en ville par avion ! Le HCA a aussi pensé aux enfants de Madaure en leur proposant un atelier artistique animé par le chanteur Zayane et deux artistes de l'Association «Couleurs et Diversité» et une initiation au tamazight par un cours modèle. Les participants à ce colloque ont fait aussi des sorties sur le terrain pour mieux s'imprégner de l'esprit d'Apulée en visitant deux sites archéologiques très bien conservés mais méconnus, Khmissa et Madaure, immergés dans une zone très fertile qui jadis faisait partie du grenier de Rome.