Pourquoi le public déserte les salles de théâtre ? Ou plutôt, pourquoi le théâtre a déserté la planche ? Telles sont, entre autres, les questions abordées lors d'une journée d'étude sur le théâtre et le public, hier, au Théâtre national algérien, Mahieddine-Bachtarzi. Le spectre des salles de théâtre vides n'est pas propre à notre pays, mais la courbe descendante du taux d'affluence du public pour le quatrième art est effrayante en Algérie. Le thème de cette journée d'étude est axé sur les raisons de ce divorce consommé entre les professionnels du théâtre et le public. Des comédiens, des professionnels du théâtre, des académiciens et responsables de structures théâtrales ont pris part à cette journée. Dans son intervention, l'universitaire Ahmed Cheniki a retracé la longue et tumultueuse histoire entre le père des arts et le public. Celui-ci est remonté jusqu'aux temps où aller au théâtre était un devoir national. C'était au temps de l'antique Athènes, en Grèce. Les temps ont changé au 18e siècle, affirme le conférencier. La fréquentation des théâtres, à cette époque-là, était strictement réservée à la classe aristocratique. Après quelque temps, la donne a changé, et les hommes du théâtre ont voulu rendre cet art populaire, ouvert à toutes les tranches de la société. C'est dans ce sillage que sont créés différents festivals pour aller à la rencontre du public. Le théâtre algérien est né au début du 20e siècle. Les pièces jouées dans les places publiques connaissaient un engouement sans précédent. Mais quelques dizaines d'années plus tard, le public a déserté les salles. «Dire que c'est à cause de la décennie noire que le public a fui les salles de théâtre est un raccourci, car ce phénomène existe également en Tunisie, en Egypte et ailleurs. Des pays qui n'ont pas connu une période pareille», dit-il. Cheniki se pose une question : «Est-ce qu'on pourra refaire l'expérience réussie des années après l'Indépendance ? Est-ce qu'on a suffisamment de compétences pour le faire ?» Le conférencier reste lui-même sceptique. «En Algérie, et partout ailleurs dans le monde arabe, nous n'avons pas de formations performantes pour les gens du théâtre. Le théâtre est un tout, si un seul élément est défaillant, ou mal formé, ça sera du bricolage», dit-il. De son côté, Makhlouf Boukrouh, professeur à la faculté de Ben Aknoun, déclare que le public algérien du théâtre, «s'il existe», est limité et irrégulier, tout comme les œuvres présentées. Il déplore le manque de données précises actuellement pour faire une étude sérieuse. Néanmoins, il admet qu'après l'indépendance, les productions théâtrales et l'affluence du public ont connu une explosion. «Du 1er avril 1963, date de l'ouverture du Théâtre national algérien, et le 31 décembre de la même année, le TNA a fait 119 représentations qui ont drainé 39 003 spectateurs. Les troupes du TNA ont parcouru 17 000 km à travers différentes régions du pays, à la rencontre de quelque 100 000 spectateurs !», Explique-t-il, et d'ajouter : «En 1987, le TNA a recensé 193 990 spectateurs». Au début des années 1990 commence la chute libre. En 2001, les six théâtres nationaux n'ont produit que 11 pièces théâtrales. Depuis, une moyenne de quatre pièces par année seulement est produite. L'universitaire se pose alors la question de savoir si c'est le public qui a reculé ou bien c'est le théâtre ? «Comment veut-on chercher le public alors qu'il n'y a pas d'œuvres théâtrales ?», s'interroge-t-il. Boukrouh arrive à la conclusion que «le théâtre algérien n'a pas su communiquer avec le public et créer des débats». Absence de publicité L'intervenant déplore le système de communication, de distribution, de programmation et l'organisation faible qui caractérisent ce secteur. Le comédien et homme de théâtre, Brahim Chergui, déplore l'absence de communication et de publicité dans tous les supports médias nationaux. «Dans toutes les télés et journaux, on ne nous présente que des couches bébés, des boissons gazeuses et autres objets. On n'a jamais vu une publicité pour une pièce de théâtre, un livre, un CD de musique ou tout autre œuvre artistique. Comment voulez-vous gagner le public ?», déplore-t-il. Durant l'après-midi, quatre ateliers de travail ont été constitués par les participants. Un débat entre ces commissions devait avoir lieu, avant la signature d'un communiqué final.