Les métiers artisanaux qui font la richesse et la diversité de la wilaya de Tizi Ouzou ont eu, les uns après les autres, leur fête. Cette fois, c'est la vannerie et la sculpture sur bois qui sont fêtées à Mekla, localité située à une quarantaine de kilomètres à l'est de la wilaya. L'ECOLE Mohamed-Hadouchi du village Djemaâ Saharidj abrite depuis avant-hier et jusqu'à aujourd'hui lundi la première édition de la Fête de la vannerie et de la sculpture sur bois. Organisée par la Direction du tourisme de la wilaya en collaboration avec le comité de village de Djemaâ Saharidj, l'APC et la daïra de Mekla, cette fête se veut une occasion pour faire la lumière sur cet autre art, certes moins connu que la poterie ou la bijouterie. Dans la cour de l'école, plusieurs chapiteaux sont dressés. Outre les stands réservés à la vannerie, on y trouve aussi des bijoux et des robes kabyles ainsi que des objets sculptés en bois, notamment une grande variété de coffrets finement travaillés par des mains de maîtres. Dans l'une des salles d'exposition, de jeunes stagiaires du CFPA de Djemaâ Saharidj qui suivent une formation dans le domaine à raison d'une fois par semaine font une démonstration de confection d'objets avec du raphia et du doum. Ce sont les deux seuls matériaux utilisés. Mme Betrouni Tassadit, artisane vannière du village Aïn Mezaieb, dans la région de Betrouna, est de tous les combats pour faire vivre et perpétuer cet art. Tansmission générationnelle De ses mains habiles, elle confectionne une multitude d'objets qui vont de l'utile au décoratif. Rencontrée à cette fête de Djemaâ Saharidj où elle tient un stand, elle nous parlera longuement de la vannerie. «Chez nous, ce métier a été transmis de génération en génération. Cet art qu'on appelle en kabyle ‘'talzazt'' ou vannerie, je l'ai appris de mon mari qui l'a appris de son père, etc. C'est dire qu'il a été transmis de père en fils et de génération en génération. C'est tout un héritage», précisera-t-elle d'emblée, avant de poursuivre : «Nous avons appris tant de choses des anciens, notamment de chez Da Meziane Mohand Ameziane. Ce personnage décédé il y a quelques années était surnommé «le chanteur vannier». Chanteur de l'émigration, il a fait entre autres un célèbre duo avec Aït Farid, ndlr)». Ceci non sans faire un petit rappel d'histoire. «On raconte que c'était un prisonnier qui lui avait appris ce métier durant sa détention. A sa libération, il confectionnait à la djemaâ du village des ustensiles qu'il troquait contre des victuailles. Et c'est ainsi qu'il avait transmis l'art de la vannerie qui ensuite a été perpétué. C'est ainsi aussi qu'ils troquaient les produits de vannerie contre des vivres dans les marchés de l'époque», dira-t-elle, avant de nous éclairer davantage sur les matériaux qu'elle utilise. «On utilise surtout l'osier qui se décline sous deux couleurs, le blanc et le marron, ainsi que le bambou et le rotin. De nos jours, la vannerie a intégré d'autres matières comme le bois, le fer forgé, etc., car elle doit s'adapter ou disparaître». Et d'enchaîner : «Ensuite, durant la guerre, le village d'Aïn Mezaieb a été bombardé par l'armée coloniale et les habitants ont été disséminés à travers plusieurs localités, comme Larbaâ Nath Irathen, Béni Amrane et d'autres à Koléa, dans la wilaya de Tipaza. C'est ce qui explique les liens très proches que nous entretenons avec les artisans vanniers de cette charmante ville. Les liens familiaux sont toujours là et nous nous concertons toujours». La vannerie a évolué et s'est adaptée aux temps modernes. C'est pourquoi la formation est devenue essentielle, comme a tenu à le préciser notre interlocutrice qui, faut-il le signaler, prépare un livre sur la vannerie qui paraîtra prochainement. «En ce qui me concerne, j'ai suivi des cycles de formation qui m'ont permis d'adapter cet art aux nouveaux besoins, notamment dans le décoratif. J'ai étudié le marketing et le design. La formation est essentielle. Malheureusement, nous n'avons pas les moyens d'assurer des formations», a-t-elle regretté. Les artisans peinent à s'organiser Comme tous les autres arts traditionnels, celui de la vannerie fait face à une multitude d'obstacles et d'aléas qui font qu'il peine à connaître son envol. De la rareté à la cherté des matériaux utilisés, comme l'osier, le rotin ou le bambou, les difficultés d'écouler les produits sont un autre obstacle à franchir pour les artisans. Ils souffrent essentiellement du manque d'espaces destinés à la commercialisation de leurs réalisations qui sont pourtant des œuvres d'art au sens large. Si avant on pouvait cueillir cette plante (talzat ou l'osier) ici même en Kabylie, notamment à Boubhir ou à Béni Amrane, ce n'est guère le cas aujourd'hui. Il est acheté au prix fort et n'est pas toujours disponible. Le manque d'organisation, l'inexistence d'une association à même de défendre l'intérêt des artisans vanniers accentuent les stress de ces derniers. «Il n'y a aucune organisation. Aucun effort n'a été fourni dans ce sens par les artisans vanniers. Dans notre village, on n'a jamais réussi à s'organiser pour défendre cet art, ce métier si noble», dira, non sans regret, Mme Betrouni. Elle précisera également que cette matière essentielle pour la vannerie est importée au prix fort. «Avant de l'utiliser, l'osier doit être traité au préalable. Il ne suffit pas d'aller au bord de la rivière pour le cueillir. J'arrive à me procurer de l'osier disons en troisième main, ce qui explique sa cherté. Il est importé, ensuite acheté par des revendeurs. Et avant qu'il n'arrive entre les mains de l'artisan, il aura déjà connu d'innombrables augmentations», dira-t-elle encore avant d'ajouter : «Si aujourd'hui, à l'instar des autres métiers de l'artisanat, celui de la vannerie est menacé de disparition, c'est parce qu'il fait face à d'innombrables aléas. C'est pourquoi nous souhaitons un peu plus d'intérêt des responsables concernés par le secteur de l'artisanat. Nous avons besoin de manière primordiale d'un espace où l'on pourra exercer notre métier dans les conditions les plus idoines. Moi, je travaille chez moi. Il est quasiment impossible de travailler dans ces conditions. Nous n'avons même pas de point de chute où le client pourrait voir les différents produits que nous proposons». La contrefaçon, une menace Présents à la manifestation, les bijoutiers ne manqueront pas de parler d'un problème qui menace sérieusement leur métier, celui des bijoux contrefaits et imités sur les modèles du bijou d'Ath Yenni, importés de Chine. Ce sont des bijoux de fantaisie réalisés on ne sait avec quelle matière, mais qui donnent un sérieux coup au bijou authentique, ont-ils regretté à l'unanimité. Un autre artisan a insisté sur un point, celui de l'inexistence d'espaces dédiés aux métiers de l'artisanat. «Nous souffrons énormément du manque d'espace destiné exclusivement à écouler nos produits. Nous avons aussi beaucoup de charges et voilà qu'en plus, nous faisons face à la contrefaçon. Outre le bijou, des objets de poterie contrefaits proviennent en toute impunité de Tunisie. Ces objets contiennent du plomb et sont donc nocifs pour la santé». Et de conclure que leur souhait est que les autorités réservent tout un quartier qui sera dédié à l'artisanat.