La mobilisation contre le vote du projet de loi sur la retraite s'est heurtée, hier, à un dispositif sécuritaire impressionnant, empêchant tout accès à la capitale. La gare routière du Caroubier, habituée pourtant à la foule, n'a pas pu contenir le nombre important de protestataires venus des 48 wilayas pour prendre part au rassemblement qui s'est tenu devant l'Assemblée populaire nationale. Il est à peine 10 h ; nous sommes à la gare routière du Caroubier. L'agitation des policiers inquiète les voyageurs. «Je viens accueillir ma fille qui rentre de Tizi Ouzou, mais le quai d'arrivée est barricadé par des policiers», dira un sexagénaire, sans quitter des yeux le lieu de convergence des bus. Et de poursuivre comme pour demander une réponse : «Je suis inquiet, je ne comprends pas ce qui se passe». Tentant de faire intrusion à l'intérieur du périmètre encerclé par les véhicules antiémeute, nous apercevons des bus stationnés chargés d'hommes et de femmes qui scandaient haut et fort «Ya sellal Ya sellal, Ya Haggar Ya Haggar», (sellal l'injuste Ndlr). Ce sont des travailleurs de plusieurs secteurs, notamment de l'éducation, venus protester devant l'APN contre le projet de loi sur la retraite anticipée. Des enseignants, pour la plupart, ont eu à peine le temps de fouler le sol de la gare avant d'être immédiatement reconduits à l'intérieur des bus de l'Etusa par des éléments de la sûreté de wilaya d'Alger. «Neuf bus transportant des manifestants ont déjà été renvoyés vers leurs wilayas», lance un bagagiste en réponse aux interrogations des voyageurs, qui avaient tous les yeux fixés sur le quai d'arrivée. «Qu'ils les (manifestants) laissent parler si nous sommes vraiment dans un pays de liberté d'expression», s'indigne ce bagagiste qui assiste depuis 6h du matin au traitement réservé à ces citoyens. Des agents de sécurité de la gare Sogral, au côté des policiers en civil, passent au peigne fin tous les voyageurs qui arrivent à la gare. Chacun d'entre eux est interrogé avant de quitter les lieux. Ceux qui ont été suspectés de faire partie des grévistes et qui ont refusé de présenter leur carte d'identité aux agents de sécurité ont directement été dirigés vers les bus où est entassé déjà par dizaines le reste de la délégation. Ceux qui ont tenté de résister ont été embarqués aux commissariats d'Alger-Centre. A 11h, les véhicules de police continuent d'arriver à l'intérieur de la gare routière. «Où est la liberté d'expression ?» D'autre bus venus de la capitale transportent des grévistes ‘'ramassés'' sur le tronçon routier qui lie la gare de Kharouba à la station de bus du 1er mai. «Ce sont de simples travailleurs qui viennent s'exprimer contre ce qui leur semble injuste ; je suis scandalisée face à tous ces renforts déployés pour les empêcher de parler. Où est la démocratie ? Où est la liberté d'expression ?», s'est indignée une enseignante en retraite. Elle s'arrête de parler lorsqu'un autre bus se dirige à l'intérieur de la gare avec à son bord un autre groupe de protestataires qui scandaient, drapeau national à la main, «non au projet de loi sur la retraite» ou encore «Nous ne sommes pas des esclaves». Notre interlocutrice qui arrive de Sétif promet après le passage du bus : «Je ne me suis pas intéressée jusqu'ici à leur mouvement, mais après ce que je viens de voir aujourd'hui, je les soutiendrai du mieux que je peux». Les forces de l'ordre ont veillé, jusqu'à l'après-midi d'hier, à empêcher que de petits groupes se reconstituent sur les lieux. Elles étaient appuyées par un hélicoptère qui survolait la gare routière. Avant le rassemblement d'hier, les forces de l'ordre avaient effectué, la veille, des contrôles d'identité de personnes qui se rendaient sur les lieux, témoignent quelques vendeurs à la sauvette rencontrés à la sortie de la gare.