M'hamed Issiakhem, qui nous a quittés il y a 31 ans, était parmi ces artistes qui ne s'expriment qu'à travers leur art. Il était parmi les fondateurs de la peinture moderne algérienne. S'il avait été musicien ou poète, M'hamed Issiakhem se serait exprimé de la même manière qu'avec son pinceau pour répondre à ce destin qui a fait qu'il soit destiné à souffrir dès sa tendre enfance. 31 ans après sa mort, les tableaux d'Issiakhem sont parmi les plus chers en Algérie. Certains sont exposés dans des musées, d'autres se trouvent chez des privés. «On ne peut parler d'Issiakhem sans parler de Kateb Yacine», comme disait Benamar médiène qui a côtoyé ces deux personnes et avait écrit un livre qui s'intitule Les jumeaux pathétiques. Ces deux personnes avaient partagé les mêmes souffrances et les mêmes joies. L'un, Kateb, savait rythmer les mots à sa mesure avec une âme poétique qui «dit» l'être dans sa douleur, et l'autre, Issiakhem, qui jouait avec les formes, les couleurs et les ombres. Pour les deux, le malheur a été livré comme une vocation, un destin qu'ils vont partager avec leur peuple. L'un a vu sa mère sombrer dans la folie et se jeter dans le feu et l'autre a vécu sous le choc d'une maudite grenade américaine qui a explosé dans sa main et qui n'en finissait pas d'exploser dans sa vie. M'hamed Issiakhem est né le 17 juin 1928 à Azeffoun, dans la wilaya de Tizi ouzou. A l'âge de trois ans, il se retrouve à Relizane. En 1943, une grenade, volée dans un camp militaire, explose dans sa main et il sera amputée de son bras gauche et deux de ses sœurs et un neveu meurent. Il rentre à Alger en 1947 et se retrouve élève de la Société des Beaux-arts à Alger pendant trois ans puis de l'Ecole des Beaux-arts d'Alger et suit les cours du miniaturiste Omar Racim. En 1951, il rencontre Kateb Yacine. Entre 1953 et 1958, il fréquente l'Ecole des Beaux-arts de Paris où il retrouve Kateb Yacine - les deux artistes demeureront inséparables. En 1958, Issiakhem quitte la France pour séjourner en RFA puis résider en RDA. Infatigable En 1962, Issiakhem rentre en Algérie et devient dessinateur au quotidien Alger Républicain. Il fut membre fondateur de l'Union Nationale des Arts Plastiques. Il sera de 1964 à 1966 chef d'atelier de peinture à l'école des Beaux-arts d' Alger puis directeur pédagogique de l'Ecole des Beaux-arts d' Oran. Il illustre plusieurs œuvres de Kateb Yacine. De 1965 à 1982, il crée les maquettes des billets de banque et de nombreux timbres poste algériens. Il réalise avec Kateb Yacine un film pour la télévision, Poussières de juillet, puis les décors du film La voie, de Slim Riad. En 1971, Issiakhem est professeur d'art graphique à l'Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme d'Alger et crée les décors pour le film Novembre. Il voyage en 1972 au Viêt Nam et reçoit en 1973 une médaille d'or à la Foire Internationale d'Alger pour la décoration du stand du ministère du Travail et des Affaires sociales. De 1973 à 1978, il redevient dessinateur de presse. Il dirige en 1977 la réalisation d'une fresque pour l'aéroport d'Alger. Le ministère du Travail et des Affaires sociales publie à Alger une plaquette dont Kateb Yacine écrit la préface sous le titre Issiakhem, Œil-de-lynx et les américains, trente-cinq années de l'enfer d'un peintre. En 1978, il séjourne quelques mois à Moscou et reçoit en 1980 le Premier Simba d'Or (Lion d'Or) de Rome, distinction de l'Unrsco pour l'art africain. Il meurt le 1er décembre 1985 des suites d'une longue maladie. M'hamed Issiakhem a non seulement marqué la scène artistique, mais il a également influencé plusieurs peintres, dont Salah Hioun, Zouhir Boudjemâa, Chegrane et beaucoup d'autres artistes.