Organisations internationales et ONG ont mis en garde contre les mesures envisagées par les Européens réunis en sommet, hier, à Malte, pour bloquer l'arrivée de milliers de migrants depuis la Libye, qu'elles jugent dangereuse notamment pour les enfants. «Les décisions prises au sommet de vendredi représentent littéralement une question de vie ou de mort pour des milliers d'enfants en transit ou bloqués en Libye», a ainsi déclaré le directeur adjoint de l'Unicef, Justin Forsyth, dans un communiqué. Et pour la plupart de ces organisations, internationales ou non gouvernementales, ce qui se prépare à Malte va tout simplement à l'encontre des droits de l'Homme, et risque de provoquer une nouvelle catastrophe humanitaire. Les dirigeants de l'Union européenne sont réunis sur la petite île de Malte en Méditerranée où ils ont approuvé une nouvelle stratégie destinée à «briser le modèle économique» des passeurs en Libye qui ont déjà fait transiter des centaines de milliers de migrants vers l'Italie au cours des trois dernières années. Les Européens souhaitent renforcer le rôle des garde-côtes libyens dans l'interception des bateaux transportant ces migrants avant qu'ils n'entrent dans les eaux internationales, aider les voisins de la Libye à fermer les accès vers ce pays et inciter ces migrants à retourner d'où ils viennent, au moins en ce qui concerne les migrants économiques ne pouvant prétendre au statut de réfugié. Autant de mesures qui alarment les ONG, qui redoutent de mauvais traitements à l'encontre des migrants bloqués en Libye faute de pouvoir traverser la Méditerranée. «Se limiter à refouler des enfants désespérés dans un pays que beaucoup décrivent comme un enfer n'est pas une solution», a ainsi jugé Ester Asin, une responsable de l'organisation Save the children à Bruxelles. Beaucoup de migrants témoignent des conditions extrêmement dures qu'ils doivent affronter en Libye. «J'ai passé trois mois en Libye. Là-bas, les Noirs, ils les mettent en prison. On n'a presque pas à manger ou à boire», a témoigné, jeudi matin, un jeune homme de 26 ans originaire de Guinée Bissau, à son arrivée en Italie. «Par cet accord, l'Union européenne organise le refoulement vers leurs persécuteurs de personnes déjà éprouvées lors de leur premier passage en Libye», s'est alarmée de son côté Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont appelé dans un communiqué commun les Européens à «ne pas emprisonner automatiquement les réfugiés et les migrants dans des conditions inhumaines», mais de favoriser au contraire leur accueil dans des conditions décentes en Libye. Les dirigeants européens se sont engagés, hier, à aider la Libye à lutter contre les passeurs, gage essentiel selon eux pour faire face au défi migratoire en Méditerranée, en dépit des critiques des ONG. «La déclaration de Malte», publiée à la mi-journée, énumère 10 priorités destinées à «briser le modèle économique» des passeurs, à sécuriser les frontières du pays ou encore à assurer des conditions décentes aux migrants bloqués dans la région. Les discussions ont été «plus rapides qu'attendu», témoignant du consensus qui s'est dégagé au sein de l'UE sur la question, selon une source européenne. Plus d'un millier de migrants secourus: Cauchemar au large de la Libye Deux navires humanitaires ont annoncé avoir secouru plus d'un millier de migrants hier matin au large de la Libye, évoquant une situation de «cauchemar», au moment où les dirigeants européens se penchaient sur la question à Malte. Après le sauvetage de plus de 1750 migrants mercredi et jeudi, les gardes-côtes italiens, qui coordonnent les opérations dans la zone, ont parlé vendredi de «plusieurs opérations en cours». Les deux navires humanitaires actuellement dans la zone, l'Aquarius de SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières (MSF) et le Golfo Azzurro de Proactiva Open Arms ont secouru plus d'un millier de personnes dans la matinée. «C'est un cauchemar absolu en ce moment. Nous sommes bien au-delà de notre capacité, nous avons secouru cinq embarcations et il y en a encore trois en attente», a déclaré sur Twitter Ed Taylor, responsable MSF à bord de l'Aquarius. «Il n'y a pas assez de navires de secours dans la zone (...). Nous avons demandé du soutien mais personne n'est disponible», a-t-il ajouté. «Des brûlures dues au carburant, des blessures, des bébés... Journée difficile», a pour sa part commenté Proactiva sur Twitter. Les deux gros navires professionnels de secours très actifs en mer cet hiver, le Diciotti des gardes-côtes italiens et le Siem Pilot, navire norvégien de l'agence européenne Frontex, étaient vendredi au port pour débarquer les plus de 1300 migrants secourus mercredi. A Malte, le sommet européen doit être largement consacré à la crise migratoire et au projet européen de soutenir en Libye la lutte contre les passeurs. Jeudi soir, le chef du gouvernement italien, Paolo Gentiloni, et son homologue libyen, Fayez al-Sarraj, ont signé un mémorandum d'accord visant à renforcer la lutte contre ce trafic. L'Italie s'est engagée à fournir des moyens financiers, matériels et sanitaires pour soutenir les initiatives libyennes depuis un renforcement des gardes-côtes jusqu'à la mise en place de camps de rétention. Dans le cadre de son opération navale anti-passeurs Sophia, lancée en 2015, l'UE a déjà commencé à former des gardes-côtes libyens. Un premier contingent de 78 hommes devait achever sa formation en février. Sur le pont de l'Aquarius, où les visages se ferment dès que l'on pose des questions sur la Libye, l'idée de bloquer les migrants dans ce pays où ils sont victimes d'abus et de tortures n'apparaît pas comme une solution. «Les Libyens nous tirent dessus comme sur des chiens», a raconté jeudi Boubacar, Guinéen de 17 ans, selon des propos rapportés par une porte-parole de SOS Méditerranée. Les secours de ces derniers jours devraient porter à plus de 7000 le nombre de migrants arrivés sur les côtes italiennes depuis le début de l'année, tandis qu'au moins 227 autres sont morts ou disparus en janvier au large de la Libye, selon l'ONU.